13 novembre 2006

Tallemant des Réaux : vous avez dit « bizarre » ?

Le héros de l’Historiette dans l’extrait qui suit est Urbain de Maillé [1597-1650], marquis puis maréchal de Brézé, beau-frère du cardinal de Richelieu et un temps vice-roi de Catalogne (le marquis de Dreux-Brézé, qu’apostropha Mirabeau, fait partie de sa lointaine descendance) :

« Il luy arriva une assez plaisante chose à son entrée à Barcelonne [sic], quand il y fut envoyé vice-roy. Il s’estoit fait tout le plus beau qu’il avoit pu. Quelques Catalans disoient : « Es muy bizarro este marechal. » Un bon gentilhomme de sa suite, estonné de ce mot bizarro (galant), disoit à un autre : « Qui diable a desjà dit l’humeur de M. le mareschal à ces gens-cy ? »

(Les Catalans du texte s’expriment en castillan. «Marechal » est la forme française ; mariscal ne conviendrait en aucune façon.)

Le pivot de l’anecdote est un faux-ami.

En espagnol de l’Age d’Or, bizarro (attesté depuis 1526) signifie surtout « élégant, distin-gué, raffiné » (galant, traduit Tallemant).

En italien, bizzarro (attesté depuis 1300 environ) signifie d’abord « coléreux » (encore de nos jours, un cheval peut être qualifié de bizzarro « fougueux »), puis (début XVIe siècle) «extravagant ».

Le courtisan de la suite du maréchal de Brézé attribue donc à l’adjectif espagnol (qui est un compliment : ce n’est pas en vain que le maréchal « s’estoit fait tout le plus beau qu’il avoit pu ») l’acception du français venue de l’italien (et qui est un reproche) et se demande comment les Catalans sont déjà informés de l’humeur fantasque du nouveau vice-roi.


Monmerqué (1834), t. II, p. 44 ; Antoine Adam (Pléiade, 1960), t. I, p. 319

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