30 août 2007

Rétribution : le film vaut-il mieux
que son titre français ?




Le cinéma au coin de la rue affiche cette semaine « Rétribution », de Kiyōshi Kurosawa (simple homonyme d’Akira Kurosawa).







L’œuvre dans sa version originale est intitulée « Sakebi », substantif tiré du verbe sake(bu) « crier » ; à titre de confirmation, « Sakebi » est la version japonaise du tableau expressionniste « Le Cri » (Skrik), d’Edvard Munch, qui l’avait d’abord appelé „Der Schrei der Natur“.

Les producteurs ont choisi “Retribution” pour l’exploitation aux Etats-Unis : voilà pourquoi nous sommes affligés une nouvelle fois d’un titre que les spectateurs francophones devront se débrouiller pour inter-préter de leur mieux.

The Day of Retribution” évoque le jour du jugement, l’heure du châtiment ou de la vengeance (restriction de sens par rapport au latin de saint Jérôme, chez qui retribuĕre est usuel au sens de « rendre à quelqu’un ce qui lui est dû, traiter quelqu’un selon ses mérites (le récompenser ou le punir) », cf. Iustitia est ius suum cuique retribuere, la justice c’est rendre à chacun selon son droit).

Faute d’avoir reconnu un faux-ami, les critiques de cinéma (pour la plupart) ont cru qu’il suffisait d’ajouter un accent aigu — comme les y invitait l’affiche du film — pour comprendre le titre : certaines de leurs exégèses s’expliquent plus aisément à la lumière, si l’on peut dire, de cette erreur.

A la réflexion, ce billet m’en rappelle un autre [publié le jeudi 10 mai 2007], consacré au film de Jiǎ Zhāng-Kē, « Sānxiá hǎorén » (“Still Life”).












Anecdote portant sur un autre faux-ami.

La scène se passe à Londres, au British Film Institute, à l’occasion d’un festival (réussi) de cinéma italien. Dans le film dont il s’agit et dont la copie était sous-titrée en français, le personnage interprété par Monica Vitti s’écriait : « Tu e i tuoi orgasmi ! » ; « Toi et tes orgasmes ! » (petits rires dans la salle à la lecture du sous-titre). Suivant l’inflexion qu’on souhaitait donner au personnage, on avait le choix entre « emportements, mouvements d’humeur, coups de gueule, montées d’adrénaline, angoisses, impatiences » et je dois en oublier.

Zanichelli : « stato di agitazione, ansia e sim.: essere in orgasmo per l’arrivo di qualcuno; vivere in continuo orgasmo. SIN. Eccitazione, inquietudine. » ; De Mauro : « condizione di eccitamento psichico intenso, di agitazione, di irrequietezza: i fans erano in orgasmo [je dirais: « dans tous leurs états »] per l’arrivo del loro idolo. »


Ὀργασμός [orgasmós] (qui apparaît dans une scholie [σχόλιον, donc sch-] à un traité d’Hippocrate) est passé en français sans transiter par le latin ; 1re attestation chez Cotgrave (1611) qui explique “An extreame fit, or expreſſion of anger” (donc « accès de colère »). Définition du Dictionnaire de l’Académie française, 4e éd. (1762), p. 265, où le mot est enfin enregistré :




« Terme de Médecine. Agitation, mouvement des humeurs qui cherchent à s’évacuer. »




Cette acception restera longtemps prépondérante. En voici deux illustrations dans l’Encyclopédie :







Vol. VIII, p. 477, art. Jaunisse, rédigé par Jean-Jacques ou Jean-Joseph Ménuret de Chambaud :




« Les médicamens appropriés pour lors sont les tamarins, la manne, la rhubarbe, & un peu de scammonée; mais il faut avoir attention d’assouplir, de détendre, de relâcher auparavant les vaisseaux qui sont dans l’irritation, d’appaiser l’orgasme & la fougue du sang. »




Vol. XIII, p. 757, art. Rafraichissans (« terme de Chirurgie… [désignant] des médicamens qui ont la vertu de tempérer & de calmer la chaleur extraordinaire qu’on sent dans une partie [du corps] »), rédigé par Louis de Jaucourt :




« C’est pourquoi les rafraichissans en diminuant le mouvement du sang qui afflue sur la partie, & en réprimant l’expansion & l’orgasme des humeurs qui y sont en stagnation, & les repoussant légerement par la contraction ou le resserrement qu’elles occasionnent aux solides, la douleur, la chaleur & l’inflammation de la partie diminuent. »




Littré : « Augmentation de l’action vitale d’une partie, souvent avec turgescence. »

Du reste, le Diccionario de la lengua española (22e éd.) de la Real Academia Española (qui ne fait état du mot que depuis 1884) donne bien comme second sens : « Exaltación de la vitalidad de un órgano. »


Ὀργασμός est dérivé du verbe ὀργάω-ῶ « être gonflé (de sève), être prêt à porter (des fruits), mûrir », d’où « être en chaleur, en rut », lui-même dénominatif d’ὀργή « litt. agitation intérieure qui gonfle l’âme » (Bailly), dont le sens courant est « colère ».














Cette chronique est disponible en téléchargement gratuit au format d’Acrobat Reader (extension .pdf) d’Adobe à l’adresse suivante:

http://www.toofiles.com/fr/oip/documents/pdf/ratribution.html

(Apparemment, le logiciel de l’hébergeur est incapable d’identifier « é » dans les noms de fichiers; d’où ratribution.)


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