12 décembre 2006

Erasme : « Eloge de la Sottise »

S’inspirant du titre de l’opuscule de Lucien de Samosate, « Eloge de la mouche » (Μυίας ἐγκώμιον : [Muias egkômion] en translittération), Erasme écrit (pour le citer sous la forme que la tradition a — hélas ! — imposée) l’Eloge de la folie :
Mωρίας ἐγκώμιον [Môrias egkômion] siue Laus Stultitiæ,
dédié à Thomas More.


Dans ce libellé, rien n’évoque la « folie ».

Il faut examiner successivement le titre (grec), puis le sous-titre (latin).

Ἐγκώμιον [egkômion] est pris dans l’acception dérivée (et usuelle) de « louange,
éloge » (ἔπαινος).
Mωρία [Môria] se lit à deux niveaux: c’est d’abord la qualité du dédicataire, Thomas More, comme le montre le dernier membre de phrase de la préface : « Moriam tuam gnauiter defende » (défends avec ardeur ce qui fait que tu es Thomas More) ; ensuite, pour l’ensemble du texte, c’est le fait d’être μῶρος [μωρός en dehors de l’attique] « sot, bête (etc.) », et non « insensé, dément, fou » (ἄφρων, μανικός, etc.).

Avec le sous-titre, l’hésitation n’est plus de mise : Laus Stultitiæ. Le 1er élément signifie
« louange, éloge » et le second, abstrait de stultus, « sot, bête (etc.) », et non « insensé, dément, fou » (dēmens, āmens, fŭrens).

L’ouvrage d’Erasme est l’éloge (paradoxal, ironique) de la sottise et le monologue que nous lisons est attribué à la Sottise incarnée : elle-même se sert de dēmentia quand elle veut parler de « folie ».

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