12 mars 2007

Ronsard :
pseudo-étymologies et calembours étymologiques


Ronsard, Les Amours, Marc Bensimon et James L. Martin,
Garnier-Flammarion no335 (1981), p. 31 & p. 37 :

« Sinope (σίνομαι, gâter ; ὄψ, vue), c’est celle qui blesse les yeux, comme l’explique le sonnet XV. »

« Voz yeux estoient blessez. Marie avoit mal aux yeux : & le Poëte ententivement la regardant, l’humeur des yeux offensez, comme par contagion entrant dedans les siens, les firent malades. Et pource il a nommé Marie Sinope, qui vaut autant à dire, comme gastant & perdant les yeux. »

Rémi Belleau



« Hélène, lorsqu’elle est comparée à la Grecque, c’est soit pour que le poète lui demande de changer de nom puisque Hélène en grec signifie pitié : « un autre plus cruel » lui siéra mieux, dit-il (Sonets pour Hélène II, XLVII), soit pour évoquer les ravages causés par ce « beau nom fatal », la « terreur de Phrygie ». »


Je ne me prononcerai pas sur la pertinence ou la validité des analyses de Marc Bensimon : mes réserves portent sur les étymologies dont il fait état et la façon dont elles sont présentées.

Jouant sur les apparences, Ronsard a voulu rattacher Σινώπη (avec -ῐ-)/Sinope à σίνομαι (avec -ῑ-) : je n’y trouve rien à redire dans la mesure où il y va de la liberté du créateur, mais encore faudrait-il que le commentateur précise que le rapport entre Σινώπη et σίνομαι est imaginaire, fantaisiste (ce sont des paronymes), et ne pas le cautionner.

Dans le second cas, le poète, contre toute évidence, croit — ou feint de croire — qu’« Hélène en grec signifie pitié », assertion dont le caractère saugrenu risque d’échapper à bien des lecteurs, faute d’une mise en garde de la part du commentateur (dont le silence sur ce point autorise toutes les hypothèses).



Pokorny (p. 1045) rattache Ἑλένη à une base *su̯el- (cf. to swelter, sultry), qui est celle de ἥλιος « soleil » ; je m’en tiendrai à cette solution (à supposer, comme de juste, que Ἑλένη ait une origine indo-européenne), trouvant l’étymologie proposée par Calvert Watkins moins convaincante.

En tout état de cause, ἔλεος « pitié » appartient à un groupe distinct, intéressant notamment par ses dérivés ἐλεημοσύνη (étymon d’« aumône » et de ses équivalents dans d’autres langues) et une forme verbale tirée d’ἐλεέω, ἐλέησον « aie pitié » (cf. la litanie Κύριε ἐλέησον, source de notre « kyrielle »).

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