Rubens : l’étymologiste voit rouge
Les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique proposent (jusqu’au 27 janvier, à Bruxelles, rue de la Régence) une belle exposition consacrée à « Rubens, l’atelier du génie » (mais l’intitulé en néerlandais « Rubens, een genie aan het werk » et en anglais “Rubens, a genius at work” parle d’un génie « à l’œuvre », sans mention d’atelier…). Au second étage du bâtiment, dans la salle qui donne accès à l’exposition proprement dite, le visiteur — avant de retirer, s’il le souhaite, un audio-guide et de présenter son billet au contrôle — est accueilli par un grand panneau dont le texte assure que le nom du peintre a pour étymon le latin ruben [sic] « rouge », prélude à une allusion à l’alchimie.
Double erreur : ruben n’existe pas en latin (où rŭbēns est le participe présent de rŭbĕo « je rougis ») ; l’origine du nom de famille est à rechercher dans la Genèse (XXIX, 32), où Ruben est le fils aîné de Jacob et de Léa :
- wattahar lē’āh wattēleḏ bēn wattiqərā’ šəmô rə’ûḇēn kî ’āmərāh kî-rā’āh yəhwāh bə‘ānəyî kî ‘attāh ye’ĕhāḇanî ’îšî
[translittération de l’hébreu dite « tibérienne » — Source : TanakhML Project, d’Alain Verboomen,
http://tanakhml2.alacartejava.net/cocoon/tanakhml/] - Kαὶ συνέλαϐεν Λεία καὶ ἔτεκεν υἱὸν τῷ Ἰακώϐ· ἐκάλεσεν δὲ τὸ ὄνομα αὐτοῦ Ῥουϐὴν λέγουσα· Διότι εἶδέν μου κύριος τὴν ταπείνωσιν· νῦν με ἀγαπήσει ὁ ἀνήρ μου.
- Et concepit Lia et genuit filium uocauitque nomen eius Ruben dicens: « Vidit Dominus humilitatem meam; nunc amabit me uir meus. »
- Léa conçut et elle enfanta un fils qu’elle appela Ruben, car, dit-elle, « Yahvé a vu ma détresse* ; maintenant mon mari m’aimera. » * La rivalité de Léa et de Rachel sert à expliquer les noms propres par des étymologies populaires parfois obscures : ra’a be‘onyî « il a vu ma détresse », Ruben ; […]
La Bible de Jérusalem, Les Éditions du Cerf, 2003, p. 74 - Léa devint enceinte et enfanta un fils qu’elle appela Ruben car, dit-elle, « le Seigneur a regardé* mon humiliation et maintenant mon époux m’aimera. » * Cette explication rattache le nom de Ruben à la racine « voir ».
La Traduction œcuménique de la Bible, Les Éditions du Cerf, 2004, p. 110
Edouard Dhorme, 1956, I, p. 95, note 32 confirme : « Le nom de Ruben, hébreu Re’û-bên « Voyez un fils ! », est interprété au sens de râ’âh be-‘onyî « a vu mon humiliation ».
La forme est Reuben en anglais, Rubén en espagnol, Rúben en portugais.
Quant au rapport en néerlandais Ruben~Rubens, il ne diffère en rien de Merten~Mertens, Peter~Peters, etc. : forme tronquée de Rubenszoon (toujours écrit Rubensz.), où se reconnaissent sans peine le -s final, marque du génitif, et zoon « fils ».
Il peut nous sembler paradoxal qu’un des grands peintres de la Contre-Réforme ait un patronyme évoquant l’Ancien Testament, mais cette façon de voir n’a sans aucun doute jamais effleuré l’intéressé.
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