22 décembre 2007

Remarques sur l’étymologie du mot homme


Dans Le Monde, 64e année, no19569, daté du dimanche 23-lundi 24 décembre 2007, p. 17, « Au courrier des lecteurs », 2e col., un courriel signé David Myard, sous le titre Droits de l’homme ; en voici le début :

Je souhaite réagir à l’emploi de l’expression « droits humains ». Je ne comprends pas pourquoi celle-ci est préférée à l’expression « droits de l’homme », alors que plusieurs raisons militent en faveur de l’usage de cette dernière. En voici deux, qui devraient écarter à son propos toute accusation de sexisme :

— étymologiquement, il faut comprendre l’« homme » des « droits de l’homme » comme provenant du latin homo (le même), par rapport à l’être humain de sexe masculin, se disant vir. […]



Une remarque :

« Droits humains » est un calque de l’anglais ‘human rights’, calque qui ne donne pas une très haute idée des connaissances — dans les deux langues — de celui ou de celle qui l’emploie. (Le même quotidien titre p. 7, 5e col. « Le gouvernement de transition belge de Guy Verhofstadt a été intronisé » ; comment dit-on
« investi » en français ?)




Une critique :


J’ignore dans quel dictionnaire l’auteur du courriel adressé au Monde a pu trouver que le substantif latin homo signifiait « le même », mais il ferait bien d’en changer après lui avoir accordé toute la publicité qu’il mérite.


Apparenté à hŭmus « la terre, le sol » et à hŭmĭlis (notre « humble »), dont le sens initial était « près du sol, rampant » en parlant des plantes, hŏmo veut d’abord dire « né de la terre, terrestre » (son accusatif hŏmĭnem a abouti à notre pronom indéfini « on »).

C’est notre préfixe homo- (homogène, homologue, homonyme, …) qui a pour acception « semblable, pareil à », mais

1) il est d’origine grecque (adjectif ὁμός, cf. le dérivé ὅμοιος, ὁμοῖος, d’où notre homéo-) et

2) il n’a aucun rapport étymologique avec le latin hŏmo « être humain » : ses lointains cousins sont
« semblable », « similaire », « simultané », etc.



***




Ci-après, quelques données techniques (un peu arides, peut-être) éclairant la parenté du latin hŏmo en indiquant des correspondants dans d’autres langues indo-européennes.









Bonnes fêtes de fin d’année à toutes et à tous.



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19 décembre 2007

Victor Hugo et l’art d’adapter une citation

Je suis toujours surpris du nombre de questions que je me pose à la relecture attentive d’un texte — en l’occurrence Les Misérables — auxquelles les éditions (et, au premier rang, celles de niveau universitaire) ne font même pas semblant d’essayer de répondre.


Voici donc des questions, des éléments de réponse et des jalons.










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10 décembre 2007

Etymologie de Porphyre « qui se soulève en bouillonnant »

À l’expérience et au vu des réactions, la mutation semble réussie et — sauf impondérables, comme toujours — j’entends bien poursuivre dans cette voie.



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En espérant être utile, voici des indications précieuses pour qui n’a pas encore pratiqué l’interface de Scribd.

Voici l’adresse où j’ai trouvé ce document :

http://www.renepaul.net/multimedia/index.php/2007/07/14/65-commandes-de-bases-d-adobe-macromedia-flashpaper-et-scribd








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08 décembre 2007

Quos ego : réemplois chez Dumas, Flaubert, Hugo

Voici une expérience tentée à partir de Scribd.
Au lieu de faire une mise en page sur Blogger (avec les impondérables que cela comporte, de mon point de vue) et de compléter par une mise à disposition du fichier au format .pdf chez un hébergeur, je publie la chronique sur Scribd et l’affiche en insertion sur Blogger.
Dans l’hypothèse optimiste où ce dispositif fonctionnerait, l’affichage serait de bien meilleure qualité, le lecteur virtuel pourrait toujours télécharger une copie de la chronique à sa guise et au format de son choix, et je pourrais — enfin — consacrer plus de temps à la recherche et à la rédaction et moins au codage.
Mais voyons un peu.






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05 décembre 2007

Athénée, Rondelet, Oppien :
La Maman des poissons...




Shiira is a Japanese open source project based on the KHTML rendering engine of Apple’s Webkit for Safari.”



Cherchant à m’informer au sujet du navigateur Shiira 「シイラ」, je trouve ceci :



Shiira est le mot japonais désignant la coryphène. L’icône de l’application représente une coryphène flottant sur une bulle d’eau.


http://fr.wikipedia.org/wiki/Shiira

Lacune : « coryphène » ne me dit rien.






Je m’informe derechef :




Le coryphène[1] (du grec κορύφαινα, ichtyologie[2]) ou dorade coryphène ou mahi-mahi est un poisson que l’on peut trouver dans les régions tropicales et subtropicales de tous les océans, et occasionnellement en Méditerranée.

1.↑ Mot masculin, d’après le TLFi.

2.↑ http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/fast.exe?mot=coryph%E8ne


http://fr.wikipedia.org/wiki/Coryphaena_hippurus



N’en croyant pas mes yeux, je suis le lien :






CORYPHÈNE, subst. masc.

Poisson des mers chaudes, aux couleurs métalliques très brillantes, et qui peut être de grande taille. Synon. usuel daurade. Un ou deux coryphènes aux brillants reflets (dorades des marins) sont devenus nos fidèles compagnons de voyage (Dumont d’Urville, Voy. autour du monde, t. 4, 1832-34, p. 662).

Prononc. Seule transcr. ds Land. 1834 et Gattel 1841 : ko-ri-fè-ne. Étymol. et Hist. 1735 lat. sc. coryphaena (Linné Syst. Nat. [éd. 1830], p. 72); 1798 coryphène (Cuvier Hist. nat., p. 355). Empr. au gr. κορύφαινα, ichtyologie. Fréq. abs. littér. : 1.



http://www.cnrtl.fr/lexicographie/coryph%E8ne?

Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales





Le CNRTL ne fait que citer, tel quel, le Trésor de la Langue Française informatisé. Erreurs en cascade. (Stricto sensu, « coryphène » et « daurade » ne sont pas synonymes.)



***










(On remarquera, chez G. Rondelet, « Quant à moi, je n’ai vu jusqu’ici en Espagne que du fretin (de la blanchaille, des alevins) » Ego quidem in Hiſpania tantum natos vidi, fierté du témoin qui ne s’est pas contenté de la lecture d’Aristote — qu’il connaît bien. Le poisson que Théodore de Gaza appelle equiselis est une variété plus petite de coryphène. Sur un autre plan, l’imprimeur a eu du mal avec sa lettrine obligatoire et a dû reporter à droite de la capitale initiale l’esprit et l’accent qui vont à sa gauche.)



Ci-après extrait d’Athénée dans l’édition de Georg Kaibel chez Teubner (1887), suivi de traductions par Lefebvre de Villeneuve et C. D. Yonge.















Kορύφαινα est la forme grecque ancienne, que les savants ont transcrite en latin coryphaena, d’où « cory-phène » ; une chose est certaine : le mot ne risque pas d’avoir voulu dire « ichtyologie » (qui n’est pas attesté avant 1649). Le poisson a été désigné par un élément considéré comme caractéristique, sa nageoire dorsale, évoquant une crête, une houppe, un cimier : κορυφή « tête » (d’où, via un dérivé, notre « cory-phée »), κορυφαία « touffe de cheveux du sommet de la tête, houppe » [l’hypothèse d’un composé κόρυς
« casque » + le radical de φαίνειν « apparaître, ressortir » n’est pas à retenir].

Comme souvent dans le vocabulaire de la faune et de la flore, on constate une multitude de variétés et de désignations.

La daurade lampuge (cast. lampuga, cat. llampuga ; sans étymologie) — 58-66 rayons, pelvienne pigmentée, anale à bord concave, pectorales longues, plaque ovale de dents (plurisériées en bande) sur la langue — avait d’autres noms, plus courants (semble-t-il) que κορύφαινα : ἵππουρος (« queue de cheval », qualifié de ἀρνευτής « bondissant comme un agneau » ; d’où hippurus chez Ovide et Pline), avec variante ἱππουρεύς ; à partir de là, un féminin non-attesté *ἵππουρα, ancêtre de l’actuel τσιπούρα (haplographie pour τσιππούρα ?) « daurade royale, sourcils d’or (χρύσοφρυς, Sparus aurata) ».









Tσιπούρα η [tsipúra] O25 : ψάρι με πλατύ σώμα και με γκρίζο, ασημί χρώμα, που το ψαρεύουν για το πολύ νόστιμο κρέας του. Tσιπουρίτσα η YΠOKOP. [μσν. τσιπούρα ίσως < *ἵππουρα θηλ. του αρχ. ἵππουρος με ανάπτ. αρχικού [ts] από συνεκφορά με το άρθρο της, τις· τσιπούρ(α) -ίτσα]. Source : Λεξικό της Κοινής Νεοελληνικής, de Manolis Triandaphyllidis (Μανόλης Τριανταφυλλίδης, 1883-1959)



Mais, si j’ai bien compris, cette restitution ne fait pas l’unanimité:





Πάμε παρακάτω• η τσιπούρα πήρε το δεύτερο πι (τσιππούρα) που την κάνει να μην τρώγεται, επειδή σύμφωνα με μια άποψη προέρχεται από τη συμπροφορά της ιππούρας > τ’σ’ιππούρας. Το πόσο αμφίβολη είναι αυτή η εξήγηση φαίνεται από το ότι ο τύπος ιππούρα είναι αμάρτυρος, οι αρχαίοι είχαν αρσενικό ίππουρος, και αυτός ο ίππουρος σήμαινε άλλοτε μεν ψάρι άλλοτε δε έντομο. Κι όμως, αυτή η επισφαλέστατη ετυμολογία θεωρείται ικανή αιτία για να ανατραπεί μια ακόμα καθιερωμένη ορθογραφία.


http://www.sarantakos.com/language/tshrwto2.html



Nikos Sarantakos (Νίκος Σαραντάκος), « Τσηρώτο στον κροκόδιλο, στυφάδο στον καρμοίρη »,

Κριτική της ορθογραφικής πολιτικής του λεξικού Μπαμπινιώτη (critique des prescriptions orthographiques du dictionnaire de Georgios Bambiniotis [Γεώργιος Mπαμπινιώτης], « Λεξικό τής Nέας Eλληνικής Γλώσσας »)


***



Une des plus anciennes représentations de daurade coryphène, remontant à l’époque minoenne, se trouve sur Théra (Θήρα), île principale de Santorin, dans les Cyclades. Les archéologues ont dégagé, dans le chantier de fouilles d’Akrotiri (Ακρωτήρι), des fresques murales (τοιχογραφίες) parmi lesquelles, dans la Maison ouest – chambre 5 – mur nord, celle dite du pêcheur, montrant un jeune homme tenant à chaque main un lien auquel sont accrochés des poissons par les ouïes. Voici l’identification exposée par le professeur P. S. Economidis (Π.Σ. Οικονομίδης), ichtyologue :







The fish featured in the picture can be classified without doubt as belonging to the family Coryphaenidae and to the species Coryphaena hippurus or common dolphinfish, which is known in Greek seas under the names κυνηγός, λαγός, σύρτης, λαγιάδα, λαμπούγα and μανάλι (Economidis 1973, 514), some of which are of Italian or Spanish origin. Another species, Coryphaena equiselis or pompano dolphinfish, is also observed in Greek seas, but very rarely. These species are the exclusive representatives of this family, distributed throughout almost all tropical and temperate ocean zones and in closely related seas. The principal characteristics which distinguish these two species are: (a) the body of the common dolphinfish is shallower, its greatest depth (H) being equal to, or less than, 25% of the standard length (SL) of the body, while in the pompano dolphinfish this depth is equal to, or more than, 25%; (b) the dorsal fin of the former species has 58 to 66 rays, while in the latter species this number varies from 52 to 59; (c) the lateral line has, respectively, more than 200 scales and less than 200 scales; and (d) the free margin of the anal fin of Coryphaena hippurus is concave, while in Coryphaena equiselis it is convex. The specimens held by the ‘Little Fisherman’ have a really quite shallow body, and the anal fin, where visible, has a relatively concave free margin, thus indicating that these are Coryphaena hippurus. Moreover, the colours of live specimens of the species are very bright, varying from blue to blue-green on the upper part of the body and from whitish to yellow on the lower part. These colours can quite easily be recognised in the picture. It seems that the only free artistic invention made by the painter of the ‘Little Fisherman’ is the presence of two rows of black spots, visible in all the depicted specimens, which are absent from the live fish. Probably, the painter wanted to draw the two existing intermediate zones in the body colours, one near the first row of spots between the dark blue of the upper part of the body and the lighter blue to blue-green of the sides, and the other between this and the whitish to yellow colour of the belly. There are some black or blue spots on live specimens, but these are dispersed irregularly along the sides (Bauchot 1987, 1070-1071).


therafoundation.org/articles/environmentflorafauna/thelittlefishermanandthefishheholds








Le spécialiste note par ailleurs que ‘given that the fish is regarded as a delicacy, it was probably not for common consumption but eaten by the rich rather than the poor’; on comparera avec la remarque finale des rédacteurs du Diccionario de la lengua española de la Real Academia Española, entrée lampuga :





Pez marino del orden de los Acantopterigios, de cuerpo comprimido lateralmente y que llega a un metro de longitud. Dentro del agua aparece todo dorado, a pesar de que por el lomo, que es casi recto, es verde con manchas de color anaranjado, y por el vientre, plateado. La aleta del lomo, que corre desde el medio de la cabeza hasta la cola, es amarilla con una raya azul en la base; la de la cola es verde, y las restantes, enteramente pajizas. Es comestible, pero se aprecia poco.




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« Les pêcheurs rassemblent des roseaux et en font des fagots qu’ils jettent dans les vagues et au-dessous ils attachent une lourde pierre pour servir de lest. Ils laissent tout ceci flotter doucement au gré des flots et immédiatement, l’ombre attire des groupes de dorades coryphènes qui se rassemblent en bancs et s’attardent autour béatement en frottant leur dos contre les roseaux. Puis les pêcheurs rament vers elles pour trouver une proie disponible, appâtent leurs hameçons et les jettent à l’eau, les poissons s’en saisissent précipitant ainsi leur propre destruction. »


C’est ainsi que le poète romain d’origine sicilienne Oppian, décrit, 200 avant Jésus-Christ, dans son ouvrage « Halieutica » la pêche des dorades coryphènes sous les premiers dispositifs de concen-tration de poissons (Oppian, traduit du grec par J. Jones, 1722).


Marc Taquet, Le comportement agrégatif de la dorade coryphène (Coryphaena hippurus) autour des objets flottants [Thèse de doctorat de l’Université Paris 6, océanologie biologique, 2004 ; l’auteur est spécia-liste en ichtyo-écologie tropicale à l’Ifremer]



Malgré Ὀππιανός et Oppiānus (que suit l’anglais Oppian), la forme française est Oppien.



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Coryphènes





Poissons allongés, comprimés ; profil de la tête se modifiant au cours de la croissance, et mâles adultes développant une crête osseuse frontale. Grande bouche ; dents fines, nombreuse, disposées en bandes sur les mâchoires, le vomer et les palatins (voûte buccale) et sur la langue. Dorsale et anale très longues, se prolongeant presque jusqu’à la caudale, sans épines acérées ni pinnules ; origine de la dorsale sur la nuque, origine de l’anale au milieu du corps ou légèrement en avant, pectorales courtes, falciformes ; pelviennes se logeant dans un sillon sur la face ventrale ; caudale profondément fourchue, sans aucune carène sur la nageoire ou sur le pédoncule caudal. Petites écailles cycloïdes (lisses) ; liane latérale avec une courbure accentuée au-dessus des pectorales. Coloration : dos bleu-vert métallique brillant à l’état vivant, virant rapidement au gris-vert après la mort, flancs argentés à reflets dorés, avec de nombreuses taches noires punctiformes ; dorsale sombre ; anale sombre bordée de blanc chez C. hippurus, claire chez C. equiselis.






Elles se rassemblent en petits groupes sous les épaves flottantes. […] Elles sont commercialisées fraîches ou réfrigérées et leur chair est très appréciée.



Texte et illustration de Marie-Louise Bauchot (Laboratoire d’ichtyologie générale et appliquée, Muséum national d’Histoire naturelle, Paris), Fiches FAO…, vol. II, 1987, p. 1070.









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04 décembre 2007

Murillo et L’Apparition de la Vierge Immaculée à six personnages du Louvre





Lors d’une de mes promenades au Louvre, je suis tombé en arrêt devant un tableau de Murillo, exposé aile Denon, 1er étage, salle 26 : L’Apparition de la Vierge Immaculée à six personnages. Voici la notice du musée :


Commandé en 1665 à la demande de Justino de Neve pour l’église Santa María la Blanca à Séville, qui venait d’être reconstruite. Sur le phylactère que portent les anges se lit en latin « In principio dilexit eam » (« Depuis l’origine Dieu l’a aimée »).

Collection Soult. Acquis en 1817

Département des Peintures — INV. 927


Je souhaite apporter un complément d’information sur trois points principaux : la femme qui a servi de modèle, le croissant de lune, le texte du phylactère (texte qui a pu être imposé au peintre).


Tout d’abord, quelques précisions.

Il s’agit d’une des quatre toiles dont le commanditaire était D. Justino de Neve y Yevenes, chanoine de la cathédrale de Séville, prébendier de l’église Santa María la Blanca (à laquelle elles étaient destinées) et ami personnel du peintre (ce fut un de ses exécuteurs testamentaires). Les trois autres sont : el Sueño del Patricio et el Patricio relatando su sueño al papa Liberio (toutes deux au musée du Prado), et el Triunfo de la Eucaristía (dans la coll. Faringdon, à Buscot Park, dans l’Oxfordshire). L’ensemble avait été envoyé à Paris par Soult, qui s’était emparé du lot pendant l’expédition napoléonienne en Espagne.





Bartolomé Estéban Murillo (1617-1682) épousa en 1645 Beatriz Cabrera Sotomayor (ou Villalobos) (1623-1664), issue d’une famille d’orfèvres et Sévillane comme lui ; elle fut, ce n’est pas douteux, son modèle préféré et apparaît dans un grand nombre de ses tableaux, dont celui-ci. (De même, leurs enfants sont souvent mis à contribution comme anges, chérubins, putti…)


La Vierge, debout sur le croissant de lune, est assimilée à la « Femme » de l’Apocalypse décrite par saint Jean (XII, 1-2) :


Καὶ σημεῖον μέγα ὤφθη ἐν τῷ οὐρανῷ, γυνὴ περιϐεϐλημένη τὸν ἥλιον, καὶ ἡ σελήνη ὑποκάτω τῶν ποδῶν αὐτῆς, καὶ ἐπὶ τῆς κεφαλῆς αὐτῆς στέφανος ἀστέρων δώδεκα, καὶ ἐν γαστρὶ ἔχουσα, καὶ κράζει ὠδίνουσα καὶ βασανιζομένη τεκεῖν.

Et signum magnum apparuit in cælo: mulier amicta sole, et luna sub pedibus eius, et super caput eius corona stellarum duodecim; et in utero habens, et clamat parturiens et cruciatur, ut pariat.


« Un grand signe parut dans le ciel : une femme enveloppée du soleil, la lune sous ses pieds, et une couronne de douze étoiles sur sa tête. Elle était enceinte, et elle criait, étant en travail et dans les douleurs de l’enfantement. » (Louis Segond, 1910)


Ce type iconographique, apparu entre la fin du XIIe siècle (on cite l’Hortus deliciarum, de Herrade de Landsberg, au Mont-Sainte-Odile) et le XIVe siècle et par la suite très répandu dans le monde germanique („Mondsichel Madonna“) et les Pays-Bas, offre l’image symbolique de l’Immaculée Conception [même Flaubert l’évoque dans la Tentation de saint Antoine] : c’est un motif récurrent chez Murillo, qui a peint 27 immaculées.


Le rapprochement a été fait, en outre, avec le beato de Facundo (1047) [códice de Fernando I y Dña. Sancha]. Mais il serait difficile de soutenir que la controverse sur l’immaculée conception — souvent confondue avec la conception virginale de Marie, comme le rappelait Muriel Lamy — ait fait rage en Espagne et à ce moment-là.


Mais l’utilisation de ce type iconographique dans la peinture espagnole reste, pour autant que je puisse en juger, limitée.

(On pourrait mentionner María, Reina de los Cielos, v. 1485, du Maître de la légende de sainte Lucie, exposé à la National Gallery of Art, à Washington et provenant de la chapelle de l’Immaculée Conception du couvent de Santa Clara à Medina di Pomar, près de Burgos ; mais, justement, cette œuvre est attribuée à un artiste originaire de Bruges, qui a peut-être fait une partie de sa carrière en Espagne. On pense toujours à l’influence espagnole sur la peinture flamande ; de temps à autre, on peut tenter l’inverse.)


« In principio dilexit eam » est un collage, un montage, une c r é a t i o n à partir d’éléments pris à des sources distinctes.

Ἐν ἀρχῇ = In principio « Au commencement » n’est autre que le début de la Genèse dans sa version gréco-latine. Le reste est un arrangement de Liber Sapientiæ, VIII, 1-3 = Σοφία Σαλωμῶνος = « Sagesse de Salomon » :


Attingit ergo [Sapientia] a fine usque ad finem fortiter et disponit omnia suauiter. Hanc amaui et exquisiui a iuuentute mea et quæsiui sponsam mihi eam assumere et amator factus sum formæ illius. Generositatem suam glorificat contubernium habens Dei, sed et omnium Dominus dilexit illam.

[Σοφία] διατείνει δὲ ἀπὸ πέρατος ἐπὶ πέρας εὐρώστως καὶ διοικεῖ τὰ πάντα χρηστῶς. Ταύτην ἐφίλησα καὶ ἐξεζήτησα ἐκ νεότητός μου καὶ ἐζήτησα νύμφην ἀγαγέσθαι ἐμαυτῷ καὶ ἐραστὴς ἐγενόμην τοῦ κάλλους αὐτῆς. Eὐγένειαν δοξάζει συμϐίωσιν θεοῦ ἔχουσα, καὶ ὁ πάντων δεσπότης ἠγάπησεν αὐτήν.

« La Sagesse, dans sa force, s’étend d’une extrémité de la terre à l’autre ; elle règle toutes choses avec perfection. Je l’ai aimée et je l’ai choisie dès ma jeunesse ; je l’ai cherchée afin de la prendre pour épouse, tant j’étais épris de sa beauté. Elle honore sa noble origine en cohabitant avec Dieu ; le Maître de toutes choses la chérit. »

She [Wisdom] reaches mightily from one end of the earth to the other, and she orders all things well. And I desired to take her for my bride, and I became enamoured of her beauty. She glorifies her noble birth by living with God, and the Lord of all loves her.”


Le changement d’illam en eam n’étant pas, à beaucoup près, une amélioration, nous supposerons que l’apprenti de son atelier que Murillo a chargé du texte de la banderole, estimant manquer de place, a cru bon de modifier le libellé sans y attacher une importance particulière. (Mais voir infra.)


En contemplant ce beau portrait de femme exécuté par son mari, j’étais tenté d’y lire aussi le message « [le peintre] l’a aimée d’emblée / a eu le coup de foudre pour elle ». C’était mettre mes pas dans ceux de l’auteur de la notice du Louvre qui, de son côté, rétablit un sujet non exprimé ; par la même occasion, c’était à mon tour trahir le texte : « Depuis l’origine Dieu l’a aimée » mais in principio n’équivaut pas à ab origine. Du reste, ces efforts font ressortir l’aspect convenu et artificiel de l’énoncé, au contenu disparate.


Le pendant de notre tableau, exposé à Buscot Park, comporte sur le côté gauche deux angelots tenant un phylactère sur lequel on peut lire : « In finem dilexit eos », citation de Jean, XIII, 1 :

Ante diem autem festum Paschæ, sciens Iesus quia uenit eius hora, ut transeat ex hoc mundo ad Patrem, cum dilexisset suos, qui erant in mundo, in finem dilexit eos.

Πρὸ δὲ τῆς ἑορτῆς τοῦ πάσχα εἰδὼς ὁ Ἰησοῦς ὅτι ἦλθεν αὐτοῦ ἡ ὥρα ἵνα μεταϐῇ ἐκ τοῦ κόσμου τούτου πρὸς τὸν πατέρα, ἀγαπήσας τοὺς ἰδίους τοὺς ἐν τῷ κόσμῳ, εἰς τέλος ἠγάπησεν αὐτούς.

« Avant la fête de Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde au Père, et ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, mit le comble à son amour pour eux. » Louis Segond


On voit le balancement In principio + dilexit ~ in finem + dilexit.


NB — Je ne vois pas de raison de suivre Segond dans son interprétation ; εἰς τέλος « jusqu’à la fin, jusqu’au bout » est usuel. Deux exemples :

Θνητῶν δ’ ὄλϐιος / ἐς τέλος οὐδεὶς οὐδ’ εὐδαίμων· / οὔπω γὰρ ἔφυ τις ἄλυπος.

« Nul parmi les mortels n’est jusqu’à la fin favorisé du sort et des dieux. Personne encore n’est venu au monde pour échapper à la douleur. » (Agamemnon, dans Iphigénie en Aulide)

ὁ δὲ ὑπομείνας εἰς τέλος, οὗτος σωθήσεται : Qui autem sustinuerit in finem, hic saluus erit.

But he who endures to the end will be saved.’ (NT)



Rem. — L’emploi de eos dans le Triomphe de l’Eucharistie a aussi pu entraîner le remplacement d’illam par eam dans l’Apparition de la Vierge Immaculée à six personnages.






Le professeur Emilio Martínez Albesa, qui enseigne l’Histoire de l’Eglise à l’Ateneo Pontificio Regina Apostolorum de Rome, a publié dans la revue Ecclesia (XVII/4, 2003, pp. 463-490) un article intitulé La Inmaculada en la historia de la devoción cristiana. En voici trois extraits :

(p. 472) Hasta estos años [de los principios del siglo XVI], la iconografía mariana conocía sólo las representaciones de la Virgen con el Niño Jesús, las de la Virgen en determinados pasajes evangélicos o de su vida (hasta su glorificación en los cielos, incluida) y las de la Virgen orante (con los brazos hacia arriba y, generalmente, teniendo en su seno un círculo con el sol o con el Niño). A estos modelos, algunos autores suman el de la Virgen Apocalíptica, que descubren en los llamados beatos mozárabes, es decir, en los libros de la España del siglo X que copian los Comentarios al Apocalipsis del santo Beato de Liébana (del 776) intercalando ilustraciones en miniatura de los pasajes del Apocalipsis. Algunas de estas ilustraciones representan a la Mujer vestida de sol de Ap 12, 1-2. No obstante que algunos de los motivos de esta descripción serán asumidos por la iconografía de la Inmaculada, hay que advertir que la representación de la Concepción de María no parece haberse inspirado en el modelo de la Mujer vestida de sol del Apocalipsis, como veremos. […]


« Bien que certains motifs de cette description soient repris par l’iconographie de l’Immaculée, il convient de prévenir que la représentation de la conception de Marie ne semble pas s’être inspirée du modèle de la femme vêtue de soleil de l’Apocalypse, comme nous le verrons. »


(p. 473) Algunos estudiosos señalan que la creadora del modelo iconográfico que llegaría a hacerse clásico para la Virgen Inmaculada fue Sor Isabel de Villena, abadesa del Real Convento de la Trinidad. Esta religiosa escribió en 1497 una Vita Christi. En la reimpresión que se hizo de esta obra en Valencia en 1513 aparece, por primera vez que conozcamos, una ilustración de la Virgen de pie sobre la luna, vestida de blanco con un manto azul celeste, con las manos cruzadas sobre el pecho, siendo coronada por el Padre, el Hijo y el Espíritu Santo. No quiere decir que esta representación sea necesariamente del misterio de la Concepción Inmaculada, sino sólo que aquí aparece el modelo que se aplicará más tarde a la representación del tal misterio. […]


« Il ne faut pas dire que cette représentation est forcément celle du mystère de l’immaculée conception, mais se contenter d’indiquer que c’est là qu’apparaît le modèle qui s’appliquera plus tard à la représentation du mystère en question. »


(p. 475) Hacia 1505, el borgoñés establecido en España Felipe Bigarny (†1542) esculpió una imagen de la Virgen en madera para el desaparecido retablo de la capilla de la Universidad de Salamanca que podría representar el misterio de la Inmaculada. Esta escultura se conserva en la universidad salmantina. La Virgen aparece de pie sobre una media luna, con las manos juntas por las palmas y los dedos apuntando hacia arriba y con el cabello descubierto cayendo sobre los hombros; lleva una sencilla corona almenada de tipo medieval sobre la cabeza. Se trata, sin duda, de una glorificación de María utilizando el modelo que, al menos posteriormente, se reservará a la representación de la Inmaculada.


« Il s’agit, sans aucun doute, d’une glorification de Marie ayant recours au modèle qui, tout au moins par la suite, sera réservé à la représentation de l’immaculée. »

***


Comment disait déjà l’homme au nez en pied de marmite ?

« Peut-être est-ce évident pour n’importe qui, excepté pour moi ; pour moi, justement, qui ne suis pas de cet avis. »
Ἴσως παντὶ δῆλον πλὴν ἐμοί· ἐμοὶ γὰρ οὐ δοκεῖ οὕτως.



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