28 juin 2007

Wikipédia : récits d'Yves, comme dirait Libé



Sachant

qu’Antoine Furetière est mort en 1688 ;

que la première édition de son Dictionnaire universel, source des démêlés avec l’Académie française dont l’auteur était membre et dont il fut exclu, date de 1690 et qu’on peut à bon droit la qualifier de posthume ;

enfin, que la première édition du Dictionnaire de l’Académie française date de 1694,


l’extrait amphigourique qui suit est-il
cohérent ? exact ? compréhensible ? (rayer les mentions inutiles) :



S’il [Furetière] n’eut pas la satisfaction de voir son œuvre maîtresse publiée de son vivant, l’histoire retiendra qu’elle vint à son terme quatre ans après sa mort avec la première édition du Dictionnaire de l’Académie françoise (1694), et que « Le Furetière », comme on l’appelle familièrement, plus de trois siècles après sa publication, connaît un succès qui ne s’est jamais démenti, comme en témoignent les nombreuses rééditions qu’il a connues jusqu’à nos jours.



Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine_Fureti%C3%A8re
















At first, the codpiece was entirely a practical matter of modesty. Men’s hose were typically very snug on the legs and open at the crotch, with the genitalia simply hanging loose under the doublet. As changing fashions led to shorter doublets, the codpiece was created to cover the crotch. Alternative versions of the origin of the codpiece exist.[1]

As time passed, codpieces were shaped to emphasize the male genitalia and eventually often became padded and bizarrely shaped. They also often doubled as pockets, handy carrying places for a variety of items such as coins and snuff. In England in the latter half of Queen Elizabeth I’s reign, the codpiece and doublet merged into the “peascod” doublet, and the codpiece faded from fashion.

Armour of the 16th century followed civilian fashion, and for a time armoured codpieces were a prominent addition to the best full harnesses. Few of these are in evidence today, though the Metropolitan Museum of Art in New York City does have one on display, as does the Higgins Armory in Worcester, Massachusetts.[2][3] The armour of Henry VIII in the tower of London has an impressive codpiece.


Renaissance humorist Francois Rabelais wrote a book named “On the Dignity of Codpieces



1. Kosir, Beth Marie: Modesty to Majesty: The Development of the Codpiece,
http://www.r3.org/life/articles/codpiece.html
2. John Grabenstein, http://www.higgins.org
3. David Edge, Arms and Armor of Medieval Knights: An Illustrated History of Weaponry in the Middle Ages



Source : http://en.wikipedia.org/wiki/Codpiece


— Au passage, on remarquera l’incohérence orthographique ‘armour’ (UK) ~ ‘humorist’ (US) —


Dans la collectivité des rédacteurs, quelqu’un a pris très au sérieux (sans se donner le mal de vérifier, ni rencontrer de contradiction) l’affirmation du narrateur de Gargantua qui mentionne, dans le Prologue (Mireille Huchon, p. 6) « les joyeux tiltres d’aulcuns livres de notre invention, comme Gargantua, Pantagruel, Fessepinte, La dignité des braguettes, Des poys au lard cum commento etc. » et revient à la charge au chap. VIII (Mireille Huchon, p. 25) « Mais je vous en exposeray bien dadvantaige au livre que j’ay faict De la dignité des braguettes. »

Puisse la même personne nous faire part de ses commentaires si elle devait un jour consulter le catalogue de la bibliothèque Saint-Victor (Pantagruel, VII) !



Libellés : ,

17 juin 2007

Ucalégon





There be two men of all mankind
That I should like to know about;
But search and question where I will,
I cannot ever find them out.


Melchizedek, he praised the Lord,
And gave some wine to Abraham;
But who can tell what else he did
Must be more learned than I am.


Ucalegon, he lost his house
When Agamemnon came to Troy;
But who can tell me who he was—
I’ll pray the gods to give him joy.


There be two men of all mankind
That I’m forever thinking on:
They chase me everywhere I go,—
Melchizedek, Ucalegon.


Edwin Arlington Robinson, “Children of the Night: Two Men”



A Les textes homériques connaissent des formes fléchies d’un verbe ἀλέγειν « se soucier, s’inquiéter, se préoccuper de », en général dans un énoncé négatif, cf. « peu m’importe, peu me chaut » (« Ne vous chaille » chez Montaigne, « non pourtant qu’il m’en chaille » chez La Fontaine) :


Oὔ σευ ἔγωγε / σκυζομένης ἀλέγω « je ne me soucie pas, moi, de ta colère »,

dit Zeus à Héra, Iliade, VIII, 482-483 ;



Aὐτὰρ ἐγώ γε / οὐκ ἀλέγω « mais moi, je ne m’en soucie pas/je n’en ai cure »,

réplique du porcher Eumée à Antinoos, Odyssée, XVII, 389-390.



(Le ton fait penser à la fameuse réponse désinvolte d’Hippocleidès à Clisthène, chez Hérodote, VI, 130 : Οὐ φροντὶς Ἱπποκλείδῃ « Qu’importe à Hippocleidès ! » [le personnage parle de lui-même à la 3e personne].)


Un champ d’application particulier est celui de cas d’impiété, ainsi les humains coupables de pratiquer l’injustice « en faisant fi de la crainte du jugement des dieux », θεῶν ὄπιν οὐκ ἀλέγοντες (Iliade, XVI, 388).


B L’adjectif grec σκαιός « (du côté) gauche » a comme sens dérivé « à l’ouest [= à gauche pour celui qui s’oriente vers le nord] » (également « néfaste, funeste, de mauvais augure », par superstition). Une des portes monumentales de Troie, tournée vers le camp des Grecs et la plaine du Scamandre, champ de bataille des deux armées, s’appelait Σκαιαὶ πύλαι « porte occidentale ».


[Deux remarques incidentes : Σκαιαὶ πύλαι est un pluriel parce que la porte monumentale était à deux battants et comportait peut-être en outre une seconde porte, à hauteur d’homme, permettant d’éviter, dans la vie ordinaire, des manœuvres longues et dangereuses ; Virgile ayant employé Scæa porta et Scææ portæ, les traductions en français sont émaillées de « porte Scée » ou « portes Scées », qui ont pour elles la tradition — mais aussi la facilité et l’inertie, plus l’opacité propre à égarer le profane.]


Sur le rempart de cette porte de l’Ouest se déroule un épisode marquant, où apparaissent, à côté de personnages de premier plan comme Hélène et Priam, des silhouettes, dont certaines affectées d’un nom, censé leur donner un peu de relief. Parmi elles, un Ancien, membre du conseil de Priam, s’appelle Οὐκαλέγων Oukalégôn/Ucalégon = oὐκ ἀλέγων : négation suivie du participe présent du verbe ἀλέγειν « se soucier, s’inquiéter, se préoccuper de », déjà mentionné. On songe à Pococurante, noble vénitien dans Candide. Nulle part ailleurs, chez Homère, il n’est question d’Ucalégon.

Dans cette scène du chant III de l’Iliade, les vieillards, dont le concert des voix est comparé au chant des cigales, expriment l’admiration que leur inspire la beauté d’Hélène et leur souhait de voir repartir (mais Priam s’y refuse) celle en qui ils voient la cause de tous leurs maux. Ce motif se retrouve, par exemple, chez Properce, dans la deuxième élégie (« Olim mirabar, quod tanti ad Pergama belli / Europæ atque Asiæ causa puella fuit… ») et chez Ronsard (livre II des Sonnets pour Hélène, 1578) : « Il ne faut s’ébahir, disaient ces bons vieillards, / Dessus le mur troyen, voyant passer Hélène… ».


C Dans l’Enéide, Virgile incorpore, intègre des éléments homériques, sans se contenter de simples citations ou plaquages. Au livre II, dans le courant du récit qu’il fait à Didon de la dernière nuit de Troie, Enée raconte comment, monté sur le toit en terrasse de sa maison, il suit la progression de l’incendie qui ravage la ville :

Iam Deiphobi dedit ampla ruinam
Vulcano superante domus ; iam proximus ardet
Ucalegon
.

« Déjà l’immense demeure de Déiphobe [Δηΐφοϐος, « qui effraie l’ennemi », un des fils de Priam] n’est plus que ruine, proie de Vulcain ; déjà celle de son voisin Ucalégon s’embrase. » (Traduction d’Anne-Marie Boxus et Jacques Poucet.)


La formule a eu beaucoup de succès, peut-être dû, ne serait-ce qu’en partie, au fait que les enseignants y trouvent une illustration de la métonymie : en effet, le texte original ne dit pas « déjà celle de son voisin Ucalégon s’embrase » mais « déjà son voisin Ucalégon s’embrase » (d’où « Ucalégon brûle », dans le Dernier jour d’un condamné).

Avant de passer à des exemples de citation proprement dite, il faut rappeler l’influence directe sur Juvénal. Le narrateur principal de la Satire III, Umbricius, brosse un tableau manichéen, exposant les raisons qu’il a de fuir l’enfer (Rome) pour gagner le vert paradis (Cumes), parmi lesquelles la peur des incendies qui ravagent les pâtés de maisons de l’époque (insulæ ; dans le même registre, nous disons encore « îlots »). Vignette : Iam poscit aquam, iam friuola transfert / Ucalegon (déjà Ucalégon réclame de l’eau, déjà il déplace ses petites affaires) ; l’écho ne fait pas de doute : emploi de iam + similitude de rythme + enjambement.


D Les auteurs français, qui soit citent le membre de phrase complet, soit (comme Hugo) procèdent plus allusivement, s’en servent comme d’une image du danger qui se rapproche, comme chez Voltaire : « Je vous assure que la cabale de Genève aurait fait retomber sur moi, si elle avait pu, la petite correction qu’on a faite à Jean-Jacques, et que j’aurais pu dire, iam proximus ardet Ucalegon, si je n’avais pas terres en France avec un peu de protection », où il s’agit d’un irréel du passé. Ou bien comme chez Hugo :

« Ce n’est pas à cause de vous, peuple, que nous abolissons la peine de mort, mais à cause de nous, députés qui pouvons être ministres. Nous ne voulons pas que la mécanique de Guillotin morde les hautes classes. Nous la brisons. Tant mieux si cela arrange tout le monde, mais nous n’avons songé qu’à nous. Ucalégon brûle. Éteignons le feu. Vite, supprimons le bourreau, biffons le code. »

Les auteurs de langue anglaise se servent plutôt du texte en situation. Exemple tiré d’un écrivain surtout connu par ses Confessions of an English opium-eater, Thomas De Quincey :

(Assis à côté du cocher de la malle-poste d’Exeter, le narrateur a vu que des braises échappées de la pipe d’un marin installé dans la rotonde ont mis le feu à des balles de paille transportées à l’arrière de la voiture.)


In dignified repose, the coachman and myself sat on, resting with benign composure upon our knowledge—that the fire would have to burn its way through four inside passengers before it could reach ourselves. With a quotation rather too trite, I remarked to the coachman,

Jam proximus ardet
Ucalegon.

But recollecting that the Virgilian part of his education might have been neglected, I interpreted so far as to say, that perhaps at the moment the flames were catching hold of our worthy brother and next-door neighbour Ucalegon. The coachman said nothing, but, by his faint sceptical smile, he seemed to be thinking that he knew better; for that, in fact, Ucalegon, as it happened, was not in the way-bill.”


E Question de Pantagruel, vers la fin de la tempête du Quart Livre (ch. XXII) :

« Mais qui est cestuy Ucalegon là bas qui ainsi crie et se desconforte ? »

Glose de la Briefve declaration :

« Ucalegon. Non aydant. C’est le nom d’un viel Troian, celebré par Homere 3. Iliad. »

Note in extenso de Mireille Huchon (Pléiade, 1994, p. 1532) :

« Vcalegon dicitur qui instante periculo remissu est, quasi curam nullam gerens, qualis apud Vergil. Vcalegon intelligi debet, ἀκάλεγων. Vocum atque locutionium quarundam suboscurarum explanatio, per Iocudum Badium Ascensium » (à la fin des œuvres de Budé).



Je retiens que Josse Bade van Asche [1462-1535], dit Iodocus Badius Ascensius (parce que né à Asse, dans le Brabant flamand), — qui enseigna le grec à Lyon (c’est aussi l’auteur de la Nef des Folles, Stultiferae naves sensus animosque trahentes mortis in exitium) — veut qu’on interprète Ucalegon comme ἀκάλεγων ; le hic, de mon point de vue, c’est que la forme grecque est introuvable et inanalysable : si elle est censée correspondra à « Non aydant », décomposer en ἀ- privatif ne débouche sur rien.

Si j’ose ainsi m’exprimer : j’y perds mon latin.

Mais, s’il s’agit d’une coquille (ce qui est vraisemblable), il suffit de substituer à κάλεγων la lecture oὐκἀλέγων.







Libellés : ,

16 juin 2007

Suidas et Souda_tiens voilà du pudding


A propos du troisième paragraphe de l’entrée « Suda » dans Wikipedia, la enciclopedia libre

(http://es.wikipedia.org/wiki/Suda):

No se sabe con seguridad si el origen del término está en la palabra ἡ Σοῦδα o ὁ Σουΐδας [1], el autor. Es común verlo escrito Suda, aunque sigue siendo lícito hablar de Suidas, como bien hace L’Année Philologique ante la inseguridad de la primera opción.

D’où, en note, sous Referencias, « Para aclaración y datos sobre el uso del término », mention d’un article d’Antonio Ruiz de Elvira Prieto :
« ¿Suidas o la Suda? »,
Cuadernos de filología clásica, ISSN 0210-0746, Nº. 15, 1978, págs. 9-12.

Fort bien ; mais le même auteur a publié, 19 ans plus tard, un article sur le même sujet et dans lequel il prend cette fois position en faveur de la première solution :
« Suidas, y no "la Suda" »,
Myrtia: Revista de filología clásica, ISSN 0213-7674, Nº. 12, 1997, págs. 5-8.

Cette omission est d’autant plus curieuse qu’elle se rapporte à un texte qui appuie le choix adopté par le rédacteur de la version originale (anglaise) de l’article, choix entériné de facto en espagnol, et alors que les adaptateurs ont su ne pas se contenter du texte-source.

Toujours à propos de Suidas, la enciclopedia libre n’a pas jugé utile de retenir l’opinion attribuée à Juste Lipse/Joost Lips/Justus Lipsius:

« Pecus est Suidas, sed pecus aurei uelleris »
(Suidas est un mouton, mais un mouton à la toison d’or),
remarque qui a le mérite d’être juste et savoureuse.



Une candidate aux élections législatives déclare (je cite le Monde daté du dimanche 17-lundi 18 juin, page 8, col. 5) :

« La preuve du pudding, c’est qu’on le mange. »

La phrase est limpide pour qui sait qu’on dit en anglais ‘The proof of the pudding is in the eating
— mais qu’en est-il pour les millions de francophones qui (selon toute vraisemblance) l’ignorent ?


En général, le cliché signifie « il faut juger sur pièces ; c’est à l’œuvre qu’on connaît l’artisan » ; en la circonstance, la dame — si j’ose me faire l’exégète d’une pensée exprimée de la sorte — a pu chercher à nous faire comprendre qu’il faut bien tenter une expérience pour se former une opinion.

Ici, l’adaptation en français est opaque.



Libellés : , , , , ,

14 juin 2007

Schiller : Mit der Dummheit, comme dit Talbot



Dans le drame historique Die Jungfrau von Orléans (La Pucelle d’Orléans), que Schiller écrivit en partie en réaction contre l’épopée héroï-comique de Voltaire, La Pucelle, on trouve — acte III, scène VI — une tirade célèbre dite par Talbot, qui commande les troupes anglaises et agonise (rapport assez ténu avec John Talbot tué en 1453 à la bataille de Castillon) :



TALBOT. Unsinn, du siegst und ich muß untergehn!
Mit der Dummheit kämpfen Götter selbst vergebens.
Erhabene Vernunft, lichthelle Tochter
Des göttlichen Hauptes, weise Gründerin
Des Weltgebäudes, Führerin der Sterne,
Wer bist du denn, wenn du dem tollen Roß
Des Aberwitzes an den Schweif gebunden,
Ohnmächtig rufend, mit dem Trunkenen
Dich sehend in den Abgrund stürzen mußt!
Verflucht sei, wer sein Leben an das Große
Und Würdge wendet und bedachte Plane
Mit weisem Geist entwirft! Dem Narrenkönig
Gehört die Welt




« Déraison, tu remportes la victoire et il faut que je périsse.
Contre la bêtise, les dieux eux-mêmes combattent en vain.
Auguste Raison, fille lumineuse jaillie de la tête divine,
sage fondatrice de l’univers et guide des astres,
qui es-tu donc puisque, liée à la queue du cheval fou de la superstition,
et malgré tes cris impuissants, tu es entraînée
avec la bête ivre dans l’abîme que tu aperçois.
Maudit soit celui qui, consacrant sa vie aux choses grandes et nobles,
conçoit pour y parvenir des plans dictés par la prudence !
C’est au roi des fous qu’appartient l’empire du monde. »


Le deuxième vers du passage, devenu un cliché (cf. The Gods Themselves, d’Asimov, 1972), me semble un démarquage d’une célèbre maxime de Simonide :

« Ἀνάγκᾳ δ’ οὐδὲ θεοὶ μάχονται »,

contre la nécessité les dieux eux-mêmes ne combattent pas

[ἀνάγκᾳ, forme dorienne correspondant à l’attique ἀνάγκῃ].





Je suis encore et toujours surpris de la persistance du pluriel « dieux » (quel que soit l’idiome) chez des gens qui se réclament du monothéisme. Il est facile d’en trouver plusieurs exemples dans Die Jungfrau, mais ma remarque ne se limite pas plus à la pièce qu’à la langue allemande : la moisson serait riche dans les textes littéraires français de la Renaissance à nos jours. Avis aux amateurs (ils ont du pain sur la planche, car il leur faudra ventiler les résultats en fonction des catégories, ce qui suppose qu’ils aient défini les catégories d’emploi…).











Le quotidien Le Monde en est à parler de personnes « issues de la diversité ».

Quel spectacle que celui des contorsions auxquelles se livrent les gens qui travaillent dans l’information, pour cultiver la langue de bois, ménager des susceptibilités réelles ou supposées, respecter les règles de l’hexagonal (Robert Beauvais) — de plus en plus influencé par le newspeak —, et, pour cela, ciseler l’euphémisme !


Libellés : , ,

12 juin 2007

Mérimée : sa devise et l'épigraphe de Carmen


Les biographes de Prosper Mérimée, notamment Xavier Darcos, nous apprennent que l’écrivain portait habituellement une bague à l’intérieur du chaton de laquelle était gravée en grec la devise « Souviens-toi de te méfier » [Mέμνησο ἀπιστεῖν].

Jalousie ? Caractère soupçonneux ? Paranoïa ? Rien de tel, mais le meilleur moyen de s’en assurer est de s’informer sur l’origine de la devise.

La source en est un adage d’Epicharme (Ἐπίχαρμος), que Polybe cite deux fois (en 18.40.4, et dans un récit rocambolesque en 31.13.14 des Histoires) et qui est mentionné par Lucien de Samosate, dans Hermotime ou les sectes (Ἑρμότιμος ἢ Περὶ αἱρέσεων) :

Nᾶφε καὶ μέμνασ’ ἀπιστεῖν· ἄρθρα ταῦτα τᾶν φρενῶν.

(νᾶφε, μέμνασo et τᾶν sont des formes doriennes)

Comme on le voit — ce n’est qu’un exemple parmi d’autres — par les « χοάς τ᾽ ἀοίνους, νηφάλια μειλίγμα-τα » dont parle le spectre (εἴδωλον) de Clytemnestre dans les Euménides d’Eschyle (au vers 107) : « des libations sans vin, des cérémonies expiatoires comprenant des offrandes d’eau, de lait et de miel », νήφω semble un terme du vocabulaire religieux, spécifique à des rites d’où sont bannis vin, alcool et spiritueux ; d’où par extension à quelqu’un qui est « à jeun » νήφων, servant d’antonyme à μεθύων « pris de boisson » (LSJ cite le proverbe trouvé chez Plutarque « τὸ ἐν τῇ καρδίᾳ τοῦ νήφοντος ἐπὶ τῆς γλώττης τοῦ μεθύοντος », ce qui est dans le cœur de celui qui est à jeun est sur la langue de celui qui a bu).

On reconnaît les néphalies [νηφάλια, sous-entendu ἱερά] « ſolemnités des Grecs nommées la fête des gens ſobres ; ce que marque le mot même qui ſignifie ſobriété. Les Athéniens célebroient cette fête en offrant une ſimple boiſſon d’hydromel au Soleil, à la Lune, à l’Aurore & à Venus : ils brûloient à cette occaſion sur leurs autels toutes ſortes de bois, excepté celui de la vigne & du figuier. (D.J.) » [Louis de Jaucourt, dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert] et le « néphalisme » (tempérance, abstinence [d’alcool], ‘teetotalism’) du XIXe siècle, 1861 en anglais, 1873 en français.

— Pour mémoire : de Jaucourt s’est un peu trompé (en suivant Thomas Cooper, qui parle de ‘feastes of sober men’?) : les néphalies étaient des sacrifices (ἱερά) où l’on ne répandait pas de vin ; il n’est pas question des officiants, qui étaient — probablement — à jeun (« sobres »).


Une équivalence est possible entre νήφων et sōbrĭus, à condition de ne prendre ce dernier que dans son acception d’origine « qui n’a pas bu, à jeun, qui n’est pas ivre » : (sēd) particule marquant la séparation, l’éloignement, la privation (Ernout-Meillet) + ēbrĭus.

Dans la citation du dramaturge-philosophe, la recommandation porte sur le sens figuré de νήφω : modération, maîtrise de soi. Marc-Aurèle (IV, XXVI) écrit « Nῆφε ἀνειμένος » : « Sois sobre dans le relâche que tu te donnes » (traduction de J. Barthélémy Saint-Hilaire, 1876) et Paul à Timothée « Σὺ δὲ νῆφε ἐν πᾶσιν » : « Mais toi, sois sobre en toutes choses » (Louis Segond) [mais la Vulgate : Tu uero uigila in omnibus].

Quant à ἀπιστεῖν, c’est « douter ».

« Reste maître de toi et souviens-toi de ne pas être crédule : voilà les articulations de la pensée. »

Peut-être Mérimée a-t-il pris connaissance de la formule d’Epicharme dans les Emblèmes, d’André Alciat (Andrea Alciato, 1492-1550), où elle apparaît (dans sa version originale) pour la première fois dans l’édition vénitienne « apud Aldi filios, M.D.XLVI mense Iunio ».




Certaines éditions (sur Internet, p. ex. sur Wikisource, mais aussi dans des publications sur papier) omettent la citation mise en épigraphe de Carmen, dès sa parution en 1845 dans la Revue des Deux Mondes. Le texte n’a rien de mystérieux : c’est une épigramme de Palladas (Anth. XI, 381), dont Mérimée lui-même a donné une traduction :
Πᾶσα γυνὴ χόλος ἐστὶν· ἔχει δ’ ἀγαθάς δύο ὥρας,
Τὴν μίαν ἐν θαλάμῳ, τὴν μίαν ἐν θανάτῳ.

« Toute femme est comme le fiel ; mais elle a deux bonnes heures,
une au lit, l’autre à sa mort. »

Autant le dire sans ambages :
il s’agit de misogynie, attitude envers laquelle je n’ai aucune complaisance.

Cela étant, est-ce une raison pour diffuser Carmen sans l’épigraphe, partie intégrante du texte, et priver ainsi le lecteur à son insu du moyen de se faire une opinion ? Comment peut-il dans ce cas décider s’il s’agit d’un aveu, d’une touche de cynisme, d’une distanciation ironique (etc.) ? Le procédé est pour le moins cavalier.


Le texte ne dit pas que la femme « est comme le fiel » mais qu’elle « est du fiel ». Deux remarques à propos de χόλος : d’une part, il arrive que le terme signifie « venin » (des serpents) ; d’autre part, le sens figuré, ici, est celui de « source de colère, de rage, d’exaspération », parce que provoquant un épanchement de bile.

Il faut comprendre « avec la femme, il y a deux bons moments : sur son lit nuptial et sur son lit de mort », l’original parlant de « chambre (de l’épouse) » car θάλαμος ne désigne pas un lit, et disant « à sa mort » (là non plus, il n’est pas question de lit).

Les deux hémistiches du second vers ont la même structure, avec un effet d’écho très réussi : thalamô, thanatô.

L’épigramme, d’une apparente simplicité, a tenté les traducteurs ; ceux-ci, ayant échoué et s’en rendant compte, ont dû se résigner à une adaptation plus ou moins heureuse.


Libellés : , , ,

06 juin 2007

Abraham Bloemaert :
Het triktrakspel / La partie de trictrac


Le Musée d’Art ancien, un des quatre Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, à Bruxelles (rue de la Régence, entre la place Royale et la si jolie place du Petit Sablon), expose jusqu’au 1er juillet des dessins du Siècle d’or hollandais de la collection Jean de Grez.

Le no11 de cette très belle exposition est un dessin à la plume et à l’encre brune dû à Abraham Bloemaert (1566-1651, catholique, qui se fit une renommée grâce à ses tableaux sur des thèmes mythologiques et religieux), intitulé Het triktrakspel / La partie de trictrac.

Voici un extrait de la notice, rédigée par Natasja Peeters :



Vier mensen zijn rond een tafel gegroepeerd, en lijken volledig geconcenteerd op een triktrakboord dat over de rand van de tafel helt. […] Aan de rechterzijde leunt een vrouw met haar arm op de tafel; ze heeft haar jurk opgetrokken zodat haar blote benen zichtbaar zijn. Achteraan zit een tweede vrouw.


La partie correspondante dans la version française a de quoi surprendre :

Quatre hommes sont groupés autour d’une table, apparemment absorbés par le jeu de trictrac qui dépasse de la table. […] À droite, une femme appuie le bras sur la table; elle a relevé ses jupes et dévoile ses jambes nues. Derrière elle se tient une seconde femme.


Bref, quatre hommes dont deux femmes.

Il s’agit d’une erreur de traduction imputable à la confusion entre
mens, mensen (cf. all. Menschen) « être humain », homo
et
man, mannen (cf. all. Männer) « homme, être de sexe masculin », uir.

La notice en néerlandais parlait, bien entendu, de « quatre personnages ».


Le dessin montre une auberge ou un bordel où se déroule une scène de dévergondage (la femme aux jupes relevées est placée de telle façon que son intimité ne peut pas échapper au regard du spectateur du tableau, d’autant que l’architecture de la toile oriente ce regard), de dissipation (quel est au juste l’enjeu de la partie qui se déroule sous nos yeux ?) : peut-être La partie de trictrac est-elle une « vanité ».


Le tablier sur lequel se joue le trictrac porte en néerlandais le nom de verkeerbord, devenu synonyme de triktrak (qu’on appelle aussi verkeerspel). À ce propos, Natasja Peeters rappelle que verkeer (dont le sens usuel de nos jours est « va-et-vient, aller-et-retour », cf. all. Verkehr) évoque la devise (zinspreuk) du poète et dramaturge Gerbrand Adriaensz. Bredero (1585-1618) ’t kan verkeeren « ça peut changer» (« la chance peut tourner »), formule devenue très vite proverbiale.






Le Louvre expose d’ailleurs un tableau (Sully, 2e ét., donation de Croÿ, salle B) de Vincent Laurensz. Van de Vinne (1629-1702) « Vanité avec une couronne royale et le portrait de Charles Ier d’Angleterre, décapité en 1649 », où l’on peut lire deux inscriptions : « Denckt op t’ent » (pense à la fin [qui t’attend]) et, au-dessous du médaillon représentant Charles Ier, « ’t kan verkeren », que la notice no8290 du musée rend par « cela peut changer », alors que le thème est celui du caractère fugace et changeant, de l’inconstance de la fortune (comme le rappelle Jean Céard, Montaigne se vit reprocher par les censeurs du Vatican
« d’avoir usé du mot de Fortune » au lieu de parler de Providence);
je dirais « la roue tourne », topos illustré (par Dürer, croit-on) dans La Nef des fous (Das Narren Schyff, Bâle, 1494), du Strasbourgeois Sebastian Brant : Wer sitzet vff des glückes rad



En marge de mon sujet : dans son remarquable ouvrage consacré aux noms de famille flamands dans le Nord de la France (Verklarend woordenboek van de familienamen in België en Noord-Frankrijk), le philologue belge Frans J.A. Debrabandere indique que l’origine du patro/matronyme Dequecker (avec variantes graphiques) est le moyen néerlandais kweker, kwaker, sobriquet désignant un « joueur de trictrac ».




Libellés : , , , , , ,

02 juin 2007

Bêtes noires, pet aversions


Le nouveau Président de la République n’était pas plus tôt élu que les gens qui travaillent dans l’information s’affairaient à qui mieux mieux pour nous annoncer, expliquer, montrer, détailler l’intronisation du chef de l’Etat.
Le mot juste est « investiture » (les anglophones disent ‘installation’).
N’est pas Léon Zitrone qui veut.



Au nombre de mes bêtes noires, il y a plus drôle (mais aussi plus répandu) : les prix, les abonnements, les effectifs, etc. ont « littéralement explosé ». Sachant que littéralement veut dire « à la lettre, au sens propre, véritablement » alors que le verbe exploser apparaît dans cette expression lexicalisée dans un emploi figuré, admirons le bel oxymore !



Tout cela ne va pas manquer de booster le bon usage de la langue française, soyons-en certains.