30 mars 2007

Louise Labé :
Labæa, Λαϐαίη, « la baie »


Mireille Huchon a jeté un joli pavé dans la mare avec son ouvrage Louise Labé : Une créature de papier (Droz, 2006). À la page 403, en tête des vingt-quatre Escriz de diuers Poëtes à la louange de la Belle Cordière, une pièce en grec, prétexte pour moi à échafauder une hypothèse facétieuse et délirante.









Caractéristiques graphiques (négatives) :

hésitation entre -β- et -ϐ-
hésitation entre -κ- et -k-
accent mal placé : Λαϐάιας, Λαϐάιη (pour -αί-)
tréma inutile :
Λοΐσης (influence de la graphie française de l’époque)
Φησΐν (là, il est même incongru)
position des diacritiques : Η῾ (pour Ἡ), Ε῎χει (pour Ἔχει)
: au lieu de · (Unicode 0387)
δυστυχέουσα écrit δυsυχέουσα (-τ- omis, -s- substitué à -σ-),
οἶστρ’ écrit οἶsρ’ (-τ- omis, -s- substitué à -σ-)


Texte de l’ode, plus lisible (j’ai résolu les ligatures et rectifié les erreurs) :

Εἰς ᾠδὰς Λοίσης Λαϐαίας.

Τὰς Σαπφοῦς ᾠδὰς γλυκυφώνου ἃς ἀπόλεσσεν
Ἡ παμφάγου χρόνου βίη,
Μειλιχίῳ Παφίης καὶ ἐρώτων νῦν γὲ Λαϐαίη
Κόλπῳ τραφεῖσ’ ἀνήγαγε.
Εἰ δὲ τις ὡς καινὸν θαυμάζει, καὶ πόθεν ἐστί,
Φησίν, νέη ποιήτρια;
Γνοίη ὡς γοργόν, καὶ ἄκαμπτον, δυστυχέουσα
Ἔχει Φάων’ ἐρώμενον·
Τοῦ πληχθεῖσα φυγῇ, λιγυρὸν μέλος ἦρξε τάλαινα
Χορδαῖς ἐναρμόζειν λύρης.
Σφοδρὰ δὲ πρὸς ταύτας ποιήσεις οἶστρ’ ἐνίησι
Παιδῶν ἐρᾷν ὑπερηφάνων.


Traductions :

« Les odes de l’harmonieuse Sapho s’étaient perdues par la violence du temps qui dévore tout ; les ayant retrouvées et nourries dans son sein tout plein du miel de Vénus et des Amours, Louise maintenant nous les a rendues. Et si quelqu’un s’étonne comme d’une merveille, et demande d’où vient cette poétesse nouvelle, il saura qu’elle a aussi rencontré, pour son malheur, un Phaon aimé, terrible et inflexible ! Frappée par lui d’abandon, elle s’est mise, la malheureuse, à moduler sur les cordes de sa lyre un chant pénétrant ; et voilà que, par ses poésies mêmes, elle enfonce vivement aux jeunes cœurs les plus rebelles l’aiguillon qui fait aimer. »

Sainte-Beuve, in Panorama de la littérature française



Le temps, dévorateur de tout, avait détruit
les odes de Sapho à l’harmonieux bruit.

Mais Louise Labé, qui connaît les Amours
et le sein de Vénus, nous les rend pour toujours.

Si ce miracle étonne et que l’on cherche en vain
d’où vient cet écrivain nouveau et féminin,

qu’on sache qu’elle aussi s’est mise à adorer
un farouche Phaon inflexible à aimer.

La pauvre, subissant un refus désolant,
s’est mise à moduler un chant si pénétrant

qu’elle enfonce, à son tour, d’une force cruelle,
l’aiguillon de l’amour au cœur le plus rebelle
.

traduit du grec par François Rigolot [Garnier-Flammarion]


(On remarquera l’obstination à désigner Aphrodite (Παφίη, « la [déesse] de Paphos ») par le nom de son homologue dans le panthéon latin, cf. Marguerite Yourcenar rendant par
« Neptune » le Poséidon d’Ithaque, de Cavafy. « C’est Vénus toute entière à sa proie attachée » confie Phèdre à Œnone : nous en serions toujours là, dirait-on…)



Laissons de côté la mention des « cordes » (χορδαί) de la lyre, qui pourrait être une allusion à la Belle Cordière.
Voilà donc notre poète (anonyme) obligé, pour réussir son tour de force, de décider comment il va bien pouvoir écrire « Louise Labé » en grec ancien (c’est, sous une forme à peine plus évoluée, la plaisanterie de potache « Οὐκ ἔλαϐον πόλιν… Où qu’est la bonne Pauline ? »). Le prénom, agrémenté d’un tréma inutile en grec, reflète la graphie fréquente à l’époque, Loïse ; mais c’est le rendu de Labé qui retient l’attention : pourquoi, en effet, choisir Λαϐαίη sinon pour corser un peu le jeu ?


Interprétation possible : Λαϐαίη représente la baie.


BAIE s.f. Tromperie qu’on fait à quelqu’un pour se divertir. C’est un grand donneur de baies. Il m’a donné la baie. Donner une baie. Il n’est que du style familier.
Dictionnaire de l’Académie française, 4e éd. (1762)




Montaigne

Essais, I, XXVI : De l’institution des enfans :

« J’en oy qui s’excusent de ne se pouvoir exprimer, et font contenance d’avoir la teste pleine de plusieurs belles choses, mais, à faute d’eloquence, ne les pouvoir mettre en evidence: c’est une baye. »

Journal de Voyage, [mercredi 10 mai 1581], Bagno della Villa (Lucques ; cf. Essais, II, XXXVII) :

« J’appris là un accidant mémorable. Un habitant du lieu, soldat qui vit encore, nomé Giuseppe, & comande à l’une des galeres des Genevois [Génois] en forçat, de qui je vis plusieurs parans proches, etant à la guerre sur mer, fut pris par les Turcs. Pour se mettre en liberté, il se fit Turc, (& de cete condition il y en a plusieurs, & notammant des montaignes voisines de ce lieu, encore vivans), fut circuncis, se maria là. Estant venu piller cete coste, il s’elouigna tant de sa retrete que le voilà, aveq quelques autres Turcs, attrapé par le Peuple qui s’etoit soublevé. Il s’avise soudein de dire qu’il s’estoit venu randre à esciant, qu’il estoit Chrétien, fut mis en liberté quelques jours après, vint en ce lieu, & en la maison qui est vis à vis de cele où je loge : il entre, il rancontre sa mere. Elle lui demande rudemant qui il etoit, ce qu’il vouloit : car il avoit encore ses vestemans de Matelot, & étoit estrange de le voir là. Enfin il se faict conètre : car il etoit perdu despuis dix ou douse ans, ambrasse sa mere. Elle aïant faict un cri, tumbe toute éperdue, & est jusques au landemein qu’on n’y conessoit quasi pouint de vie, & en étoient les Medecins du tout désesperés. Elle se revint enfin & ne vescut guiere depuis, jugeant chacun que cete secousse lui acoursit la vie. Nostre Giuseppe fut festoïé d’un checun, receu en l’Eglise à abjurer son erreur, reçeut le Sacremant de l’Eveque de Lucques, & plusieurs autres serimonies : mais ce n’etoit que baïes. Il étoit Turc dans son ceur, & pour s’y en retourner, se desrobe d’ici, va à Venise, se remesle aus Turs, reprenant son voïage. Le voilà retumbé entre nos meins, & parceque c’est un home de force inusitée & soldat fort entandu en la Marine, les Genevois le gardent encore, & s’en servent, bien ataché & garroté. » d’après Meunier de Querlon

(Thibaudet & Rat, p. 1268 ; Garavini, p. 274 ; Rigolot, p. 160)



Molière, L’Etourdi (II, XI, Mascarille, v. 830) :

« Le sort a bien donné la baye à mon espoir. »



Lesage, Gil Blas (I, II) :

« En achevant ces mots, il me rit au nez et s’en alla. Je fus aussi sensible à cette baye, que je l’ai été dans la suite aux plus grandes disgraces qui me sont arrivées. »



Si l’on part du point de vue que l’auteur de l’ode grecque avait présent à l’esprit le terme baye, baie « tromperie, supercherie, mystification, moquerie » ou bien l’italien baia (dar la baia a qualcuno = prendere in giro, « faire marcher qqn, leurrer, duper »), que les spécialistes considèrent comme un des étymons possibles du mot français, son choix s’explique.

En outre, il applique — avant l’heure — le principe de la Lettre volée (The Purloined Letter), mettre en évidence ce que tout le monde cherche et croit hors de portée.





Mais…







Quand il compose un quatrain en grec à l’occasion de la mort de Guillaume Budé, Théodore de Bèze (Iuuenilia, p. 26) ne manque pas de transcrire le patronyme sous la forme Βουδαῖος, de même qu’il titre sur Budæus.

L’équivalence « é » = « æ » = « αι » était commune à tous les humanistes ; elle allait sans dire, et mes spéculations fumeuses sur l’éventualité de rapports entre Labé et baie ou baia sont dignes du 1er avril.








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26 mars 2007

Wikipédia :
plus il y a de gruyère,
plus il y a de trous… (II)



Sur quelques mauvaises manieres de parler

Colin s’en allit au Lendit,
Où n’achetit ni ne vendit,
Mais seulement, à ce qu’on dict,
Derobit une jument noire.
La raison qu’on ne le penda
Fut que soudain il responda
Que jamais aultre il n’entenda
Sinon que de la mener boire.


(Attribué à Clément Marot.)




Extrait de la page de fr.wikipedia.org consacrée à Publius Clodius Thrasea Pætus :


Publius Clodius Thrasea Paetus, sénateur romain et philosophe stoïcien, vécut pendant le règne de Néron. Il était le mari de Arria, la fille de Arria, beau-frère de Helvidius Priscus et ami ?? du poète Perse.

Sa vie
Il est né à Padoue et appartenait à une famille de notables aisés. Les circonstances par lesquelles il vint s’établir à Rome sont inconnues. Au début, il fut traité avec de grands égards par Néron probablement dû à l’influence de Sénèque le Jeune.

Il devint consul en l’an 56 et un des gardiens des livres Sybillins.

En l’an 57, il soutint la cause de l’envoyé de Cilicie qui vint à Rome pour accuser d’extorsion leur dernier gouverneur Cossutianus Capito.

En l’an 59, Thrasea fut le premier à montrer ouvertement son dégoût à propos du comportement de Néron et la platitude du sénat : il se retira sans voter juste avant la lecture de la lettre de l’empereur qui justifiait le meurtre d’Agrippine la Jeune.

En l’an 62, il empêcha l’execution du préteur Antistius qui avait calomnié par écrit l’empereur et persuada le sénat d’appliquer une sentence plus douce. Néron montra son mécontentement en refusant de recevoir Thrasea lorsque le sénat l’envoya en personne pour offrir les félicitations pour la naissance d’une princesse.

Depuis l’an 63 jusqu’à sa mort en 66, Thrasea se retira de la vie publique et ne remit plus les pieds au sénat.


Sa fin
Mais sa mort avait été décidée en haut lieu. La simplicité de sa vie et son adhésion aux principes du stoïcisme étaient vus comme un reproche envers la frivolité et la débauche de Néron. Celui-ci « aspira à la fin à la mort de la Vertu en persécutant Thrasea et Soranus » (Tacite). Cossutianus Capito – le beau-fils de Tigellin qui n’avait jamais pardonné à Thrasea d’avoir soutenu sa condamnation – et Eprius Marcellus dirigèrent les poursuites. Diverses charges furent élevées contre lui. Le sénat, intimidé par la présence de nombreuses troupes, n’a eu d’autre alternative que de le condamner à mort. Lorsque la nouvelle fut rapportée dans la maison de Thrasea – qui se diver-tissait avec des amis – il se retira dans sa chambre et s’ouvra les veines de ses deux bras.

Le récit de Tacite s’interrompt au moment où Thrasea allait s’adresser à Demetrius – le philosophe du cynisme – avec lequel il avait eu, avant ce jour fatal, une discussion sur la nature de l’âme. Thrasea fut le sujet d’un panégyrique écrit par Arelenus Rusticus, un des tribuns qui avait offert de mettre un veto sur le décret du sénat. Mais Thrasea refusa de le laisser mettre sa vie en péril inutilement.

Le modèle de vie et de conduite pour Thrasea était celui de Caton d’Utique pour lequel il avait rédigé un panégyrique. Dans sa biographie sur Caton, c’était l’un des maîtres de Plutarque.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Publius_Clodius_Thrasea_Paetus

Dernière modification de cette page le 7 novembre 2006 à 00:11





« Sous le règne de N. »

« mari d’Arria (elle-même fille d’Arria*) » [*cette dernière était l’épouse d’Aulus Cæcina Pætus et c’est à lui que s’adressait le célèbre Pæte, non dolet ; je me permets de renvoyer à mon billet intitulé « Paete, prends ton luth… », daté du 27 novembre 2006]

« beau-père [father-in-law] d’H.P. »

« ami et parent du poète Perse » : le terme anglais, inconnu du prétendu traducteur (il l’aurait trouvé dans n’importe quel dictionnaire d’usage courant — mais encore eût-il fallu qu’il en consultât un), lequel a préféré se retrancher derrière un discret et subtil double point d’interrogation, est kinsman (cf. kindred, kith and kin « parentèle »). Idem decem fere annis summe dilectus a Pæto Thrasea est ita ut peregrinaretur quoque cum eo ali-quando, cognatam eius Arriam uxorem habente. Suétone, Vie de Perse ; « Perse est lui-même le cousin d’Arria, femme du sénateur stoïcien Thraséa, qui dut s’ouvrir les veines sur l’ordre de Néron. » Elizabeth Bine, Encyclopædia Universalis11

« On ignore dans quelles circonstances… »

« grâce à l’influence de Sénèque [le Philosophe] »

« Livres sibyllins » [τὰ Σιϐύλλεια, chez Plutarque ; de σίϐυλλα]

« il soutint la cause des émissaires de Cilicie, venus à Rome pour accuser de concussion leur récent gouverneur »

« commença à afficher son indignation devant le comportement de N. et la servilité du sénat en se retirant sans participer au scrutin après la lecture devant l’assemblée du message de l’empereur justifiant l’assassinat d’Agrippine. »

« il empêcha l’exécution du préteur Antistius Sosianus, qui avait médit de l’empereur dans ses écrits, et convainquit le sénat de prononcer une condamnation plus clémente. N. manifesta son mécontentement en lui interdisant l’accès de son palais quand le sénat, en corps constitué, vint présenter ses félicitations à l’occasion de la naissance d’une princesse. »

« … étaient perçus comme autant de reproches adressés à l’empereur pour sa frivolité et sa vie de débauche, et Néron n’eut enfin plus de cesse qu’il n’ait fait périr la Vertu elle-même, incarnée en Thrasea et Soranus (Tacite, Annales, XVI, XXI). »

« Cossutianus Capito, gendre [« beau-fils »: stepson] de Tigellinus qui n’avait jamais pardonné à Thrasea d’avoir réussi à le faire condamner, et E. M. menèrent l’accusation. »

« Divers chefs d’inculpation furent retenus contre lui »

« le sénat … ne put faire autrement que de le condamner à mort. »

« Quand on vint annoncer la nouvelle à Thrasea chez lui, où il recevait des amis »

« il se fit trancher les veines des bras »

« …Démétrius le Cynique [1er s. ap. J.-C., vécut sous les règnes de Caligula, Néron et Vespa-sien], avec qui, un peu plus tôt dans la journée qui allait être celle de sa mort, il s’était entretenu sur la nature de l’âme. »

« un panégyrique, œuvre d’Arulenus Rusticus, un des tribuns, qui avait proposé d’user de son droit de véto [ius intercessionis, en sa qualité de tribun] pour s’opposer à la décision du sénat, mais T. refusa de le laisser sacrifier sa vie en pure perte. »

« Dans sa vie et son comportement, T. prenait modèle sur Caton d’Utique (dont il avait écrit un panégyrique), qui constitua l’une des principales sources de Plutarque quand il rédigea sa biographie de Caton. »








Pour donner ne serait-ce qu’une idée du personnage que fut Démétrius le Cynique (dont parlent Tacite et Suétone, et qui fut l’ami de Sénèque), voici une anecdote rapportée par un connaisseur.


Lucien de Samosate (Λουκιανὸς Σαμοσατεύς)
LVIII, 19
Πρὸς τὸν ἀπαίδευτον καὶ πολλὰ βιϐλία ὠνούμενον.
Contre un ignorant bibliomane

Δημήτριος δὲ ὁ Κυνικὸς ἰδὼν ἐν Κορίνθῳ ἀπαίδευτόν τινα βιϐλίον κάλλιστον ἀναγιγ-νώσκοντα —τὰς Βάκχας οἶμαι τοῦ Εὐριπίδου, κατὰ τὸν ἄγγελον δὲ ἦν τὸν διηγούμενον τὰ τοῦ Πενθέως πάθη καὶ τὸ τῆς Ἀγαύης ἔργον—ἁρπάσας διέσπασεν αὐτὸ εἰπών, « Ἄμεινόν ἐστι τῷ Πενθεῖ ἅπαξ σπαραχθῆναι ὑπ’ ἐμοῦ ἢ ὑπὸ σοῦ πολλάκις. »

Démétrius le Cynique voyait un jour à Corinthe un ignorant qui lisait [à haute voix] un livre splendidement orné ; c’étaient, je crois, les Bacchantes d’Euripide. Le lecteur en était à la scène où le messager vient annoncer la mort de Penthée et la fureur d’Agavé. Alors Démétrius, lui arrachant le livre et le mettant en pièces : « Mieux vaut, dit-il, pour Penthée d’être une bonne fois déchiré par mes mains que mille par ta bouche ! »

(d’après Eugène Talbot, 1912)




L’adjectif ἀπαίδευτος « sans instruction, ignorant, grossier, sans éducation » (cf. Platon, Lois, II, 654a « Ἀχόρευτος ἀπαίδευτος », celui qui ne sait pas tenir sa place dans un chœur [pour y danser et y chanter] n’a pas vraiment reçu d’instruction [ou : d’éducation]) a fait son entrée en français dans L’Isle Sonante, XVI (« Comment Pantagruel arriva en l’isle des Apedeftes à longs doigts et mains crochues, et des terribles aventures et monstres qu’il y trouva », Mireille Huchon, p. 869 [on remarquera que la graphie note la prononciation du grec moderne ; l’attribution du texte à Rabelais a peu de partisans]); cf. « L’île des Apedeftes où nous débarquons ensuite est l’île de la Cour des comptes. Les Apedeftes sont uniquement occupés à mettre en presse des maisons, des prés, des champs, pour en faire suer de l’argent, dont une partie seulement revient au roi. Le reste a disparu.» Anatole France, 1928). On le retrouve chez Ménage et Tallemant des Réaux (éd. Antoine Adam, I, p. 552). Voltaire, après l’avoir remodelé en apédeute, qualifie ainsi les autorités de la Faculté de théologie de Paris pour avoir censuré le Bélisaire de Marmontel : le passage de l’Ingénu (XI) est célèbre à juste titre (« La vérité luit de sa propre lumière,
et on n’éclaire pas les esprits avec les flammes des bûchers
»).
En cherchant bien, on trouve encore un article de Laurent Tailhade (sous le pseudonyme de Dom Juniperien) : « Simple Guide-Ane à l’usage des Apédeutes qui désirent examiner avec fruit l’Exposition des Portraits du prochain Siècle » (Mercure de France, no 47, novembre 1893).

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25 mars 2007

Praxitèle au Louvre : Apollon Sauroctone


Le Monde, 63e année, no19334, daté du vendredi 23 mars 2007, p. 30, « L’énigmatique Praxitèle au Louvre », Emmanuel de Roux :


Pour Alain Pasquier, un des commissaires de l’exposition, « on est à peu près sûr de trois modèles : la Vénus de Cnide — on doit à Praxitèle les premiers nus féminins de l’histoire de la sculpture — l’Apollon Sauroctone (qui joue avec un lézard) et sans doute un jeune satyre au repos. »

En sa qualité de conservateur général en charge du (calque de l’anglais in charge of
« responsable de ») département des Antiquités grecques, étrusques et romaines du Louvre, Alain Pasquier sait à coup sûr de quoi il parle ; j’en dirais autant d’Emmanuel de Roux (dans le cas contraire, il aurait à cœur de s’informer avant d’informer). Incidemment, il serait peut-être préférable de parler d’Aphrodite de Cnide.



Le Figaro, 19 mars 2007, « Praxitèle, le chant du marbre », Hervé de Saint Hilaire (illustration : Apollon Sauroctone ; légende : « Anonyme, buste féminin, marbre, fin du Ier siècle avant J.-C. — début du Ier siècle après J.-C. ») :

Et ces variations sur une figure importante, presque archétypale, chez Praxitèle, ces proportions, ces jeux d’équilibres de l’Apollon Sauroctone (c’est-à-dire « mangeur de lézard [sic] »). Admirez ces innombrables bustes ; ces têtes dont on a parfois peine à soutenir le regard ; attardez-vous sur la qua-lité des drapés, des chevelures et la magie de ces mouvements : Vénus cachant son sexe de sa main qu’elle entrouvre parfois, la vigueur d’un Hermès portant Dionysos enfant.



L’Humanité, édition du 20 mars 2007, « Le geste éternel d’Aphrodite », Maurice Ulrich :

« Vouloir aller, interroge Alain Pasquier, à la rencontre d’un seul et même sculpteur, dont la carrière remonte à quelque deux mille trois cents ans, vouloir ressusciter son œuvre dont l’héritage se réduit à quelques restes tantôt meurtris par les vicissitudes du sort, tantôt dénaturés par les restaurations, des restes qui de surcroît ne sont eux-mêmes que les échos affaiblis des créations du maître, n’est-ce pas là une entreprise bien extravagante ? » La réponse est sans doute du côté de la passion. « Nous voulons croire que la faveur pour ces dieux et ces héros, pour ces Apollon et ces Vénus de marbre, n’a pas complètement disparu et même qu’elle peut retrouver de la force. » Elle est aussi du côté de la fascination pour ces formes qui ont non seulement ébloui les Romains, qu’il s’agisse de l’Apollon Sauroctone, ce qui veut dire chasseur de lézards, du Satyre au repos qui a fait l’objet à lui seul de cent douze copies romaines.


« La Grèce retrouvée » Restaurations de sculptures grecques du Musée Calvet, en Avignon :

La collection de sculptures grecques et gréco-romaines en ronde bosse rassemblée par le Musée Calvet depuis le XIXe siècle comporte quelques pièces de valeur, notamment un torse d’Apollon Sauroctone inv. E 37 (Apollon guetteur de lézard [sic]), réplique d’un original du sculpteur grec Praxitèle (vers 400 — vers 330 av. J.-C.).

http://www.musee-calvet.org/fr/exposition-la-grece-retrouvee.html





Difficile de s’y retrouver devant tant d’opinions autorisées, divergentes
et toutes fausses.

Σαυροκτόνος est composé de σαύρα (fém. ; σαῦρος existe aussi) « lézard » et d’une forme tirée de κτείνω (κτενῶ, ἔκτεινα 1, ἔκτανον 2, ἔκτονα) « tuer », cf. αὐτόκτονος et αὐτοκτόνος, βαρϐαρόκτονος, θηλυκτόνος, νεόκτονος, παρθενοκτόνος, πρωτοκτόνος, τραγόκτονος ; il faut donc comprendre « tueur de lézards ».



La forme translittérée est attestée en latin chez Pline (XXXIV, 70) et chez Martial (XIV, 172 : Sauroctonos Corinthius).

Le passage de Pline : Fecit et puberem Apollinem subrepenti lacertæ comminus sagitta insidian-tem, quem sauroctonon uocant, tel qu’il est traduit par Littré qui parle « d’un jeune Apollon qui guette avec une flèche un lézard se glissant près de lui, et qu’on appelle Sauroctone » [un jeune Apollon qui, armé d’une flèche, est à l’affût d’un lézard…] a peut-être influé sur la compréhension du rédacteur du musée Calvet.

Quant au distique de Martial :

Ad te reptanti, puer insidiose, lacertæ
Parce: cupit digitis illa perire tuis

la traduction française publiée en 1864 « Ne tue pas d’une flèche, malicieux enfant, ce lézard qui rampe vers toi : ce n’est qu’entre tes doigts qu’il veut mourir » suppose, chez le lecteur, une bonne connaissance du texte de Pline et du motif représenté par Praxitèle (Martial ne mentionne pas de flèche, sagitta).



Au bout du compte, il resterait à expliquer comment Sauroctone (pour lequel il existe une vedette dans le Larousse du XXe Siècle) a pu tenir en échec de bons esprits qu’on aurait pu croire rompus à ce genre de gymnastique linguistique.







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15 mars 2007

Tristram Shandy : Doctor Paidagunes


Tome III, Volume VI, Chapitre XI :


“[…] it was Yorick’s custom, which I suppose a general one with those of his profession, on the first leaf of every sermon which he composed, to chronicle down the time, the place, and the occasion of its being preached: to this, he was ever wont to add some short comment or stricture upon the sermon itself, seldom, indeed, much to its credit:—For instance, This sermon upon the Jewish dispensation—I don’t like it at all;—Though I own there is a world of Water-Landish knowledge in it;—but ’tis all tritical, and most tritically put together.— This is but a flimsy kind of a composition; what was in my head when I made it?

—N.B. The excellency of this text is, that it will suit any sermon,—and of this sermon,—that it will suit any text.—

—For this sermon I shall be hanged,—for I have stolen the greatest part of it. Doctor Paidagunes found me out. Set a thief to catch a thief.—”



Le contexte montre qu’à l’évidence il s’agit d’un docteur en théologie (divinity). Hormis cette certitude…


À supposer que Paidagunes soit la « forme féminine de pédagogue » (Charles Mauron, note 361 p. 619), elle a dû sortir tout armée de la tête de Sterne, bafouant allègrement les règles qui, d’ordinaire, président à la formation des noms composés en grec classique (où, d’ailleurs, παιδαγωγός désignait [l’esclave] accompagnant — à l’aller et au retour — le garçon de la maison de ses parents à celle du maître d’école [διδάσκαλος, παιδευτής], qui faisait la classe chez lui).

Howard Anderson, p. 300 : ‘the reference is contemptuous of pedantry’, et Graham Petrie, note p. 647 : ‘‘Dr. She-pedagogue’, expressing Sterne’s contempt for pedants’, mais je n’y verrais que de la misogynie.

Melvyn New (note p. 694) estime qu’il serait « plus correct » d’écrire Paedagunes ; mais, dans ce cas, pourquoi pas Paedagynes ? D’ailleurs, Sterne translittère au lieu de trans-crire, invitant peut-être à une lecture ‘paid a gin’ ou ‘paid a guinea’ (‘paid a gown’ serait plus en situation).


Le néerlandais connaît pedagoog au masculin et pedagoge au féminin ; en admettant — ce dont je persiste à douter — que Sterne ait eu l’intention d’inventer une pseudo-forme en grec classique correspondant à pedagoge, on aura du mal à me faire croire que **paidago-gyne / παιδαγωγυνή ** n’ait pas été à sa portée. On peut toujours supposer (sans en apporter le moindre début de preuve) que c’est ce que l’auteur avait écrit, que le mot a été amputé à l’imprimerie et que la forme fautive a échappé au correcteur et au relecteur.

Il n’en resterait pas moins que nul n’a cherché à justifier l’emploi (éventuel) de « péda-gogue au féminin » pour « pédant », avec « au féminin » tenant lieu d’intensif (cf. « bas-bleu »), alors qu’il s’agit d’un théologien.

Comment expliquer le -s de Paidagunes ?






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12 mars 2007

Ronsard :
pseudo-étymologies et calembours étymologiques


Ronsard, Les Amours, Marc Bensimon et James L. Martin,
Garnier-Flammarion no335 (1981), p. 31 & p. 37 :

« Sinope (σίνομαι, gâter ; ὄψ, vue), c’est celle qui blesse les yeux, comme l’explique le sonnet XV. »

« Voz yeux estoient blessez. Marie avoit mal aux yeux : & le Poëte ententivement la regardant, l’humeur des yeux offensez, comme par contagion entrant dedans les siens, les firent malades. Et pource il a nommé Marie Sinope, qui vaut autant à dire, comme gastant & perdant les yeux. »

Rémi Belleau



« Hélène, lorsqu’elle est comparée à la Grecque, c’est soit pour que le poète lui demande de changer de nom puisque Hélène en grec signifie pitié : « un autre plus cruel » lui siéra mieux, dit-il (Sonets pour Hélène II, XLVII), soit pour évoquer les ravages causés par ce « beau nom fatal », la « terreur de Phrygie ». »


Je ne me prononcerai pas sur la pertinence ou la validité des analyses de Marc Bensimon : mes réserves portent sur les étymologies dont il fait état et la façon dont elles sont présentées.

Jouant sur les apparences, Ronsard a voulu rattacher Σινώπη (avec -ῐ-)/Sinope à σίνομαι (avec -ῑ-) : je n’y trouve rien à redire dans la mesure où il y va de la liberté du créateur, mais encore faudrait-il que le commentateur précise que le rapport entre Σινώπη et σίνομαι est imaginaire, fantaisiste (ce sont des paronymes), et ne pas le cautionner.

Dans le second cas, le poète, contre toute évidence, croit — ou feint de croire — qu’« Hélène en grec signifie pitié », assertion dont le caractère saugrenu risque d’échapper à bien des lecteurs, faute d’une mise en garde de la part du commentateur (dont le silence sur ce point autorise toutes les hypothèses).



Pokorny (p. 1045) rattache Ἑλένη à une base *su̯el- (cf. to swelter, sultry), qui est celle de ἥλιος « soleil » ; je m’en tiendrai à cette solution (à supposer, comme de juste, que Ἑλένη ait une origine indo-européenne), trouvant l’étymologie proposée par Calvert Watkins moins convaincante.

En tout état de cause, ἔλεος « pitié » appartient à un groupe distinct, intéressant notamment par ses dérivés ἐλεημοσύνη (étymon d’« aumône » et de ses équivalents dans d’autres langues) et une forme verbale tirée d’ἐλεέω, ἐλέησον « aie pitié » (cf. la litanie Κύριε ἐλέησον, source de notre « kyrielle »).

Libellés :

08 mars 2007

Wikipédia :
plus il y a de gruyère,
plus il y a de trous… (I)


Extrait de la page de fr.wikipedia.org consacrée à Néron :



Une série de scandales


Alors que ses conseillers s’occupaient des affaires de l’État, Néron s’entourait d’un cercle de proches. Les historiens romains rapportent des nuits de débauche et de violence, alors que les affaires plus banales de la politique étaient négligées. Marcus Salvius Otho était au nombre de ces nouveaux favoris. À tous points de vue, Otho était aussi débauché que Néron, mais il devint aussi intime qu’un frère. Certaines sources considèrent même qu’ils ont été amants. Otho aurait présenté à Néron une femme qui aurait d’abord épousé le favori, puis l’empereur. Poppée (Poppaea Sabina) était décrite comme une femme de grande beauté, pleine de charme, et d’intelligence. On peut trouver dans de nombreuses sources (Plutarque Galba 19.2-20.2 ; Suétone Othon 3.1-2; Tacite deux versions : Histoires 1.13.3-4; Annales 13.45-46 ; et Dion Cassius 61.11.2-4) les rumeurs d’un triangle amoureux entre Néron, Othon, et Poppée.

En 58, Poppée avait assuré sa position de favorite de Néron. L’année suivante (59) fut un tournant dans le règne de Néron. Néron et/ou Poppée auraient organisé le meurtre d’Agrippine. Sénèque eut beau tenter de convaincre le Sénat qu’elle mettait sur pied une conspiration contre son fils, la réputation de l’empereur fut irrémédiablement entachée par ce cas de matricide. Othon fut bientôt chassé de l’entourage impérial, et envoyé en Lusitanie comme gouverneur.

Le tournant suivant fut l’année 62, pour plusieurs raisons.

La première fut un changement parmi ses conseillers. Burrus mourut et Sénèque demanda à Néron la permission de se retirer des affaires publiques. Leur remplaçant aux postes de préfet du prétoire et de conseiller fut Tigellin. Il avait été banni en 39 par Caligula, accusé d’adultère avec à la fois Agrippine et Livilla. Il avait été rappelé d’exil par Claude, puis avait réussi à devenir un proche de Néron (et peut-être son amant). Avec Poppée, il aurait eu une plus grande influence que Sénèque en eut jamais sur l’empereur. Quelques mois plus tard, Tigellin épousait Poppée. Une théorie suggère que Poppée tenta, pendant ces quatre ans (58-62) d’éloigner Néron de ses conseillers et de ses amis ; si cela est vrai, ce qui est arrivé à Burrus et Sénèque pourrait ne pas être le fruit du hasard. Le deuxième événement important de l’année fut le divorce de l’empereur. Néron, âgé alors de vingt-cinq ans, avait régné huit ans, et n’avait pas encore d’héritier. Quand Poppée tomba enceinte, Néron décida d’épouser sa maîtresse, mais son mariage avec Octavie devait d’abord être annulé. Il commença par l’accuser d’adultère. Mais Néron avait déjà acquis la réputation d’être infidèle, alors qu’Octavie était connue pour être un parangon de vertu. Il fallait des témoignages contre elle, mais la torture d’un de ses esclaves ne parvint qu’à produire la célèbre déclaration de Pythias, selon laquelle la vulve d’Octavie était plus propre que la bouche de Tigellinus. Néron réussit à obtenir le divorce pour cause d’infertilité, ce qui lui permettait d’épouser Poppée et d’attendre qu’elle donne naissance à un héritier. La mort soudaine d’Octavie, le 9 juin 62 provoqua des émeutes publiques.

Un des effets rapides de la nomination de Tigellinus fut la promulgation d’une série de lois contre les trahisons ; de nombreuses peines capitales furent exécutées.

Au cours de cette année, Néron fit exécuter deux des membres restants de sa famille […].

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http://fr.wikipedia.org/wiki/N%C3%A9ron





On remarquera le flottement entre Otho et Othon, ainsi qu’entre Tigellin et Tigellinus [C. Ofonius Tigellinus] ;

« les affaires plus banales de la politique » : “more mundane matters of politics” « les aspects matériels de la politique, la gestion des affaires courantes » ;

« À tous points de vue, Otho était aussi débauché que Néron » : “By all accounts” « Au dire de tout le monde / Les sources sont unanimes / De l’avis général » ;

« Otho aurait présenté à Néron une femme qui aurait d’abord épousé le favori, puis l’empereur » : “Otho early introduced Nero to one particular woman who would marry first the favourite (Otho) and then the Emperor” « Dès les premiers temps, Othon présenta à Néron une certaine femme qui épousa d’abord le favori, Othon, puis l’empereur » ;

« Poppée (Poppaea Sabina) était décrite comme une femme de grande beauté, pleine de charme, et d’intelligence » : “Poppaea Sabina, described as a woman of great beauty, charm, and wit” « … qu’on présente comme une femme de grande beauté, pleine de charme et
d’esprit » ;

« En 58, Poppée avait assuré sa position de favorite de Néron » : “By 58, Poppaea had become established in her position as Nero’s favourite mistress” « Dès 58, la situation de Poppée en tant que favorite de Néron était un fait acquis » ;

« Néron et/ou Poppée auraient organisé le meurtre d’Agrippine » : “Nero and/or Poppaea reportedly machinated the murder of Agrippina” « Le couple d’amants, Néron et Poppée, ou bien l’un de deux amants, aurait comploté l’assassinat d’Agrippine » ;

« par ce cas de matricide » : “by this case of matricide” « par cette affaire de matricide, par ce matricide » ;

« Il avait été banni en 39 par Caligula, accusé d’adultère avec à la fois Agrippine et
Livilla » : « Accusé d’adultère tant avec Agrippine qu’avec Livilla, il avait été banni en 39 par Caligula » ;

« [Tigellinus] avait réussi à devenir un proche de Néron (et peut-être son amant) » : “Ambitious, Tigellinus managed to become a favourite of Nero (and, reputedly, his lover)
« Ambitieux, T. parvint à s’insinuer dans les bonnes grâces de Néron (et, dit-on, à devenir son amant) » ;

« Néron … avait régné huit ans » : “had reigned for eight years” « régnait depuis huit ans » ;

« Néron décida d’épouser sa maîtresse, mais son mariage avec Octavie devait d’abord être annulé » : “Nero finally decided to marry his mistress, but his marriage to Octavia had to be dissolved before doing so” « N. finit par décider d’épouser sa maîtresse, mais encore fallait-il au préalable que son mariage avec O. fût dissous »

« mais la torture d’un de ses esclaves ne parvint qu’à produire la célèbre déclaration de Pythias, selon laquelle la vulve d’Octavie était plus propre que la bouche de Tigellinus » : “but torturing one of her slaves only produced the famous declaration of Pythias reporting the genitalia of Octavia to be cleaner than the mouth of Tigellinus” « mais la mise à la torture d’une de ses esclaves eut pour seul résultat la célèbre apostrophe de Pythias à Tigelli-nus : la vulve d’Octavie est plus propre que ta bouche » [Voir ci-dessous PYTHIAS] ;

« N. réussit à obtenir le divorce pour cause d’infertilité » : “Nero proceeded to declare the divorce on grounds of infertility” « N. répudia alors Octavie pour stérilité » — le rédacteur anglophone avait le choix entre barrenness, sterility et infertility ; il a préféré le dernier, euphémisme datant de 1847 et qui a la faveur des cliniques spécialisées ;

« … provoqua des émeutes publiques » : pour les distinguer des émeutes en appartement, en petit comité, in petto, en son for intérieur ? — de toute façon, c’est faux : il n’y a pas eu d’émeutes du tout en la circonstance et Tacite ne mentionne que des « protestations répétées » (crebri questus) ;

« Un des effets rapides de la nomination de Tigellinus » : “One of the earliest effects of Tigellinus’ advancement” « Une des toutes premières conséquences de la promotion
de T. »

« une série de lois contre les trahisons » [les trahisons, au pluriel…] : “a series of treason laws” « une série de lois réprimant le crime de lèse-majesté, d’atteinte à la maiestas » — c’est inexact : la lex de maiestate, suspendue en 41 par Claude, est remise en vigueur ;

« de nombreuses peines capitales furent exécutées » [formule de très mauvais goût] : “numerous capital sentences were carried out” « il y eut de nombreuses exécutions
capitales » ;

« Au cours de cette année, Néron fit exécuter deux des membres restants de sa famille » : “During the same year, Nero executed two of his few remaining relatives” « La même année, N. fit mettre à mort deux des rares survivants de sa famille ».

PYTHIAS — même ânerie

Pythias was a Roman slave bound to Octavia, the wife of Nero until 62 A.D.
He was tortured and famously proclaimed that Octavia’s genitalia was cleaner than Tigellinus’ mouth.

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http://en.wikipedia.org/wiki/Pythias_%28Roman%29


Il existe deux sources se rapportant à Pythias, servante ou suivante (ancilla) d’Octavie:

Tacite (Annales, XIV, 60), qui rapporte l’anecdote au style indirect sans désigner le personnage par son nom, et Dion Cassius (LXII, 13,4), qui l’appelle deux fois Πυθιάς et précise qu’elle crache au visage de son bourreau.



Tacite :

Igitur accepto patrum consulto, postquam cuncta scelerum suorum pro egregiis accipi uidet, exturbat Octauiam, sterilem dictitans; exim Poppææ coniungitur. Ea diu pælex et adulteri Neronis, mox mariti potens, quendam ex ministris Octauiæ impulit seruilem ei amorem obicere. Destinaturque reus cognomento Eucærus [Εὔκαιρος], natione Alexandrinus, canere per tibias doctus. Actæ ob id de ancillis quæstiones, et ui tormentorum uictis quibusdam, ut falsa adnuerent, plures perstitere sanctitatem dominæ tueri; ex quibus una instanti Tigellino castiora esse muliebria Octauiæ respondit quam os eius. Mouetur tamen primo ciuilis discidii specie domumque Burri, prædia Plauti infausta dona accipit; mox in Campaniam pulsa est addita militari custodia. Inde crebri questus nec occulti per uulgum, cui minor sapientia et ex mediocritate fortunæ pauciora pericula sunt. His tamquam Nero pænitentia flagitii coniugem reuocarit Octauiam.

« Néron n’eut pas plus tôt reçu le décret du sénat, que, voyant tous ses crimes érigés en vertus, il chasse Octavie sous prétexte de stérilité ; ensuite il s’unit à Poppée. Cette femme, longtemps sa concubine, et toute-puissante sur l’esprit d’un amant devenu son époux, suborne un des gens d’Octavie, afin qu’il l’accuse d’aimer un esclave : on choisit, pour en faire le coupable, un joueur de flûte, natif d’Alexandrie, nommé Eucérus. Les femmes d’Octavie furent mises à la question, et quelques-unes, vaincues par les tourments, avouèrent un fait qui n’était pas ; mais la plupart soutinrent constamment l’innocence de leur maîtresse. Une d’elles, pressée par Tigellin, lui répondit qu’il n’y avait rien sur le corps d’Octavie qui ne fût plus chaste que sa bouche. Octavie est éloignée cependant, comme par un simple divorce, et reçoit, don sinistre, la maison de Burrus et les terres de Plautus. Bientôt elle est reléguée en Campanie, où des soldats furent chargés de sa garde. De là beaucoup de murmures ; et, parmi le peuple, dont la politique est moins fine, et l’humble fortune sujette à moins de périls, ces murmures n’étaient pas secrets. Néron s’en émut ; et, par crainte bien plus que par repentir, il rappela son épouse Octavie. »
trad. Jean-Louis Burnouf, 1859

Nero, on receiving this decree of the Senate and seeing that every piece of his wickedness was regarded as a conspicuous merit, drove Octavia from him, alleging that she was barren, and then married Poppaea. The woman who had long been Nero’s mistress and ruled him first as a paramour, then as her husband, instigated one of Octavia’s servants to accuse her an intrigue with a slave. The man fixed on as the guilty lover was one by name Eucaerus, an Alexandrine by birth, skilled in singing to the flute. As a consequence, her slave-girls were examined under torture, and though some were forced by the intensity of agony into admitting falsehoods, most of them persisted in upholding the virtue of their mistress. One of them said, in answer to the furious menaces of Tigellinus, that Octavia’s person was purer than his mouth. Octavia, however, was dismissed under the form of an ordinary divorce, and received possession of the house of Burrus and of the estates of Plautus, an ill-starred gift. She was soon afterwards banished to Campania under military surveillance. This led to incessant and outspoken remonstrances among the common people, who have less discretion and are exposed to fewer dangers than others from the insignificance of their position. Upon this Nero, though he did not repent of his outrage, restored to Octavia her position as wife.”

Translated by Alfred John Church and William Jackson Brodribb

The Modern Library edition of Church and Brodribb’s text, published under the title of The Complete Works of Tacitus, 1942



Dion Cassius:

Μόνη δὴ Πυθιὰς οὔτε τι κατεψεύσατο αὐτῆς, καίπερ πικρότατα βασανισθεῖσα, καὶ τέλος ὡς ὁ Τιγελλῖνος ἐνέκειτο αὐτῇ, προσέπτυσε τέ αὐτῷ καὶ εἶπε, « Καθαρώτερον, ὦ Τιγελλῖνε, τὸ αἰδοῖον ἡ δέσποινα μοῦ τοῦ σοῦ στόματος ἔχει. »

« Seule Pythias, quoique très cruellement torturée, ne proféra aucun mensonge sur le compte d’Octavie, et, à la fin, comme Tigellinus la pressait, elle lui cracha au visage et lui dit : Le sexe de ma maîtresse, Tigellinus, est plus chaste / exempt de souillure que ta bouche. »


καθαρός (cf. les Cathares, catharsis, Catherine) « sans souillure, pur ; propre ; innocent ; chaste, vertueux »


“Pythias alone had refused though cruelly tortured to utter lies against Octavia, and finally, as Tigillinus continued to urge her, she spat in his face, saying: My mistress’s privy parts are cleaner, Tigillinus, than your mouth.”

transl. Earnest Cary on the basis of the version by Herbert Baldwin Foster,
Loeb Classical Library, 1925




Remarques sur l’ensemble des textes classiques et de leurs traductions.

Tacite et Dion Cassius sont en désaccord sur un point précis : alors que le premier affirme que « la plupart » (plures) des servantes et suivantes d’Octavie soutiennent leur maîtresse, le second souligne l’exemplarité de Pythias, « seule, unique » (μόνη) à défendre la réputation de l’impératrice.

La convergence frappante entre castiora et καθαρώτερον ne milite guère en faveur d’une traduction par « propre » : non contente de chercher à innocenter Octavie, Pythias insinue que Tigellinus est un fellator (« suceur »), donc considéré comme passif [cf. uiri muliebria pati, chez Salluste, Bellum Catilinæ, XIII, 3], ce qui — s’agissant d’un homme + libre [ni esclave, ni affranchi] + adulte — était le comble de l’abomination aux yeux des Romains (perte de la dignitas) ; voir Le sexe et l’effroi, de Pascal Quignard (1994).

Muliebria (pudenda) et αἰδοῖον, euphémismes pourtant traditionnels, ont plongé certains traducteurs dans l’embarras ; le double souci d’édulcorer le propos et de restituer le style indirect aboutit à un résultat parfois opaque : « il n’y avait rien sur le corps d’Octavie qui ne fût plus chaste que sa bouche ».


Montaigne mentionne Tigellinus (il écrit Tigillinus) à deux reprises dans les Essais : en I, XX (Que Philosopher, c’est apprendre à mourir) et en III, IX (De la vanité). Incidemment, il est un peu surprenant que, dans le premier passage, Montaigne en soit resté aux fonctions de Tigellinus en tant que « Capitaine du guet à Rome ».






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03 mars 2007

Saint-Simon :
Breteuil faisait le capable
et Gesvres faisait le lecteur

Andromaque à Céphise (IV, I, vv. 1113-1116) :
« Fais connaître à mon fils les héros de sa race;
Autant que tu pourras, conduis-le sur leur trace.
Dis-lui par quels exploits leurs noms ont éclaté,
Plutôt ce qu’ils ont fait que ce qu’ils ont été. »

Saint-Simon (1698) :

« Bonneuil, introducteur des ambassadeurs, étoit mort il y avoit cinq ou six mois. C’étoit un fort honnête homme, différent de Sainctot à qui son père, seul introducteur, avoit vendu la moitié de sa charge. Le père et le fils enten-doient fort bien leur métier. Breteuil [père de la marquise du Châtelet], qui, pour être né à Montpellier pendant l’intendance de son père, se faisoit appe-ler le baron de Breteuil, eut cette charge d’introducteur au retour de Fontai-nebleau. C’étoit un homme qui ne manquoit pas d’esprit mais qui avoit la rage de la cour, des ministres, des gens en place ou à la mode, et surtout de gagner de l’argent dans les partis1 en promettant sa protection. On le souf-froit2 et on s’en moquoit. Il avoit été lecteur du roi, et il étoit frère de Bre-teuil, conseiller d’État et intendant des finances. Il se fourroit fort chez M. de Pontchartrain, où Caumartin, son ami et son parent, l’avoit introduit. Il faisoit volontiers le capable3 quoique respectueux, et on se plaisoit à le tour-menter. Un jour, à dîner4 chez M. de Pontchartrain, où il y avoit toujours grand monde, il se mit à parler et à décider fort hasardeusement. Mme de Pontchartrain le disputa5, et pour fin lui dit qu’avec tout son savoir elle parioit qu’il ne savoit pas qui avoit fait le Pater. Voilà Breteuil à rire et à plaisanter, Mme de Pontchartrain à pousser sa pointe, et toujours à le défier et à le ramener au fait. Il se défendit toujours comme il put, et gagna ainsi la sortie de table. Caumartin, qui vit son embarras, le suit en rentrant dans la chambre, et avec bonté lui souffle « Moïse. » Le baron, qui ne savoit plus où il en étoit, se trouva bien fort, et au café remet le Pater sur le tapis, et triom-phe. Mme de Pontchartrain alors n’eut plus de peine à le pousser à bout, et Breteuil, après beaucoup de reproches du doute qu’elle affectoit6, et de la honte qu’il avoit d’être obligé à dire une chose si triviale7, prononça8 magis-tralement9 que c’étoit Moïse qui avoit fait le Pater. L’éclat de rire fut univer-sel10. Le pauvre baron confondu ne trouvoit plus la porte pour sortir. Chacun lui dit son mot sur sa rare suffisance. Il en fut brouillé longtemps avec Caumartin, et ce Pater lui fut longtemps reproché.
Son ami le marquis de Gesvres, qui quelquefois faisoit le lecteur11 et retenoit quelques mots qu’il plaçoit comme il pouvoit, causant un jour dans les cabi-nets du roi, et admirant en connoisseur les excellents tableaux qui y étoient, entre autres plusieurs crucifiements12 de Notre Seigneur, de plusieurs grands maîtres, trouva que le même en avoit fait beaucoup, et tous ceux qui étoient là. On se moqua de lui, et on lui nomma les peintres différents qui se recon-noissent à leur manière. « Point du tout, s’écria le marquis, ce peintre s’appeloit INRI, voyez-vous pas son nom sur tous ces tableaux ? » On peut imaginer ce qui suivit une si lourde bêtise, et ce que put devenir un si profond ignorant. »


1 On appelait parti la ferme (cf. les fermiers généraux), le forfait pour la levée des revenus royaux et des impôts publics, pour la fourniture de certains produits, et partisans (ou traitants, cf. Turcaret) les financiers qui prenaient les fermages.
2 souffrir « supporter patiemment, tolérer »
3 « l’entendu, l’important, le malin »
4 « repas de midi, déjeuner »
5 « apporta la contradiction »
6 « manifestait, affichait »
7 « connue de tous, visible pour tous »
8 « énonça, déclara »
9 « sur un ton pontifiant, docte »
10 « général, » dirions-nous.
11 « Faire le lecteur, c’est se piquer de lecture, ou, comme on dirait aujourd’hui,
de culture » — note d’Yves Coirault, Saint-Simon, Mémoires II, Gallimard, folio classique
no 2553 (1994), p. 456.
12 « crucifixions »

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