Galatée, Gălătēa (Γαλάτεια, Γαλατεία) : nymphe (sicilienne), fille de Nérée et de Doris (c’est donc une néréide). Son nom signifie « mer étale, calme plat, bonace » (cf. γαλήνη, qui est aussi le nom d’une néréide), mais il a été rapproché — étymologie populaire — de γάλα « lait » (Théocrite : λευκοτέρα πακτᾶς ποτιδεῖν, rendu par « Plus blanche que le lait qui caille dans l’éclisse » « Más blanca que el yogur », “whiter than cottage cheese” ; de son côté, Lucien de Samosate risque, en évoquant son nom, un à peu près sur le fromage. On songe au Moretum de l’Appendix Vergiliana et au « cachat redoulènt » de Mistral).
1ère mention dans l’Iliade. Chez Théocrite, triangle classique : elle est aimée du Cyclope Polyphème, mais elle aime le berger Acis (Ἄκις) ; Polyphème les surprend et tue son rival, transformé en rivière (Aci, Jaci) au pied de l’Etna.
Il existe des homonymes de cette nymphe, cf. le mythe de Pygmalion, et chez Horace ou Virgile :
Malo me Galatea petit, lasciua puella,
et fugit ad salices et se cupit ante uideri.
« Galatée me jette une pomme, la folâtre jeune fille!
et fuit vers les saules; et avant de se cacher, désire être vue. » (Nisard, qui brode)
D’où
« Et il [Manicamp] suivit [Mlle de] Montalais, qui courait devant lui
légère comme Galatée »
Le Vicomte de Bragelonne, chap. CLIX.
Autre Galatée, au masculin.
Le prénom italien Galeazzo est, pour autant que je sache, sans étymologie. Double manipulation : on le latinise en Galat(h)eus, qu’à son tour on italianise en Galateo — lequel, par conséquent, n’entretient avec Gălătēa qu’un rapport paronymique.
C’est donc en hommage à un évêque, Galeazzo Florimonte, instigateur du projet, que paraît en 1558 — et non pas (cela a son importance) en 1554, comme l’écrit Charles Mauron p. 616 note 304 — un ouvrage au titre-fleuve :
Trattato di Messer Giouanni Della Casa, nel quale sotto la persona d’vn vecchio idiota amma-estrante vn suo giouanetto, si ragiona dei modi, che si debbono ò tenere ò schifare nella comune conuersazione, cognominato Galateo ouuero dei costumi.
L’ouvrage aura un succès considérable. Qu’on en juge.
1) Le Galathée, ou la manière et Fasson comme le gentilhomme se doit gouverner en toute compagnie, traduit d’Italien en François par Jean du Peyrat, Paris, 1562.
2) Galateo of Maister Iohn Della Casa. Or rather, a treatise of the manners and behauiours, it behoueth a man to vse and eschewe, in his familiar conuersation, transl. Robert Peterson (Lon-don, 1576), dedicated to the earl of Leicester.
3) Galateo Español, destierro de ignorancias, maternario de avisos (Madrid, 1582), adaptation de Lucas Gracián Dantisco.
4) une traduction en latin (la gloire !) : Galateus, Seu De Morum Honestate Et Elegantia / Liber Ex Italico Latinus, Interprete Nathane Chytræo (Francfort, 1588),
œuvre de Nathan Kochhaf(e).
Dans le titre italien, « cognominato Galateo » est un écho de Boccace :
« Comincia il libro chiamato Decameron cognominato prencipe Galeotto…», où il s’agit de Galehaut, avec renvoi à Dante (Inferno, V, 137).
Son incipit Conciossiacosaché a beau prêter à sourire, Il Galateo est un manuel de savoir-vivre; encore de nos jours, sapere il galateo (avec minuscule initiale), c’est avoir de bonnes manières.
L’auteur, Giovanni Della Casa (1503-1556) a mené une double carrière, ecclésiastique et littéraire.
Archevêque de Bénévent en avril 1544, nonce apostolique (en août de la même année et pendant 5 ans) en Vénétie, où il installa le tribunal de l’Inquisition (1547), participa à l’instruction contre l’évêque de Capodistria accusé d’hérésie et publia le 1er Indice dei libri proibiti (liste des livres interdits ou, comme on dit, mis à l’Index). Laissons de côté son rôle dans l’organisation du Concile de Trente et ses écrits politiques (Orazione a Carlo V Imperatore per la restituzione della città di Piacenza, discours à Charles-Quint, pour appuyer la restitution de Plaisance à Ottavio Farnese, où apparaît pour la 1ère fois le syntagme lexicalisé Ragion di Stato). Mais il ne recevra pas le chapeau de cardinal : à cause de ses écrits de jeunesse ?
Paradoxe : c’est en tant que poète, grâce à ses Rime (dernière édition critique à ce jour : Stefano Carrai, 2003), que Della Casa occupe une place dans l’histoire littéraire italienne. Mais avant ce recueil, à 25 ans, à l’époque où il brigue un poste à la Curie et alors qu’il a déjà reçu les ordres mineurs, il écrit ses premiers capitoli bernesques, dont Il Forno et La Stizza, considérés comme licencieux (ils jouent sur l’équivoque, procédé à la mode : Chi ha danari, inforni quanto vuole « Celui qui a de l’argent, qu’il enfourne tout son saoûl » — c’est moi qui souligne) et qu’il se verra reprocher par ses adversaires protestants pendant sa nonciature à Venise ; ce qui a pu nuire à sa carrière de prélat, c’est le scandale.
Le personnage et son œuvre
vont être des cibles de choix pour Laurence Sterne.
Mentionné 6 fois, Giovanni Della Casa est travesti en John de la Casse : la casse, le séné et la rhubarbe faisaient partie des laxatifs d’usage courant (« Ah ! nourrice de mon cœur, je suis ravi de cette rencontre ; et votre vue est la rhubarbe, la casse et le séné qui purgent toute la mélancolie de mon âme », dit Sganarelle en veine de galanterie, dans Le Médecin malgré lui, III, III).
Dans le même registre scatologique, répétition de Benevento (7 occurrences), pseudo-italien bene vento « vent de bien, bon vent ». Pour mémoire : les Romains latinisèrent le nom (osque ou pré-osque) de la localité en Maleuentum, changé en Beneuentum par superstition et peut-être à l’occasion de leur victoire sur Pyrrhus au cours de la Troisième Guerre Samnite, en 275 av. J.-C.
Cf. « Cetera intus in secunda regione Hirpinorum colonia una Beneuentum auspicatius mutato nomine, quæ quondam appellata Maleuentum…» Pline, H.N., III, 105
« Dans l’intérieur de la seconde région, on trouve une colonie unique des Hirpins, qui changea son ancien nom de Maleventum
en un nom de meilleur augure, Beneventum. » (trad. Littré)
Cité 5 fois, Galateo apparaît transmué en Galatea et qualifié (vol. IX, ch. XIV) de “nasty Romance” : ni le nom ni l’adjectif ne s’appliquent, bien entendu.
Les autres touches du tableau peint par Sterne sont à l’avenant. Le Galateo a dû être écrit en 4 ans environ (Della Casa n’y a pas consacré “near forty years of his life”) et son auteur ne s’est pas vu infliger de pénitence sous la forme d’un commentaire de l’Apocalypse (C. Mauron, p. 565, Guy Jouvet, p. 865 : « le Livre des Révélations ») puisque la publication est posthume ; voilà pourquoi j’ai souligné l’erreur de C. Mauron : 1554, au lieu de 1558.
La juxtaposition : “nasty Romance” et “in a purple coat, waistcoat, and purple pair of breeches” résume le fond de la querelle, un écrit indigne de la robe que porte son auteur. Mais Sterne vise, sans le dire, un écrit : In laudem pederastiæ seu sodomiæ, dont, dès 1682, Gilles Ménage a démontré l’inexistence ; exposé convaincant par Giovanni Dall’Orto, sur son site.
Melvyn et Joan New estiment que Sterne se contente de suivre Rabelais, Burton et Bayle, “all of whom mention his [scil. Della Casa’s] youthful celebration of sodomy.”
1) The Penguin English Library, 1967, edited by Graham Petrie
2) Norton Critical Edition, 1980, edited by Howard Anderson
Quand il est question de l’œuvre de John de la Casse, le texte de Tristram Shandy dans ces deux éditions porte uniformément Galateo : estimant qu’il s’agissait d’une erreur matérielle, les responsables ont fait disparaître la version correcte, édulcorant ainsi — sans le vouloir — l’intention polémique de l’auteur.
Libellés : Galatea, Galatée, Galateo, Giovanni Della Casa, John de la Casse, Melvyn and Joan New, Tristram Shandy