26 février 2007

Tristram Shandy : cum grano salis


Tome I, volume II, chapitre IV :

Writers of my stamp have one principle in common with painters. Where an exact copying makes our pictures less striking, we choose the less evil; deeming it even more pardonable to trespass against truth, than beauty. This is to be understood cum grano salis; but be it as it will,—as the parallel is made more for the sake of letting the apostrophe cool, than any thing else,—’tis not very material whether upon any other score the reader approves of it or not.”


Léon De Wailly (1882), p. 102 et Charles Mauron, p. 98 + note 93 p. 605 laissent l’expression latine telle quelle, Mauron ajoutant en note la traduction littérale. Guy Jouvet (p. 121 + note p. 919) cite le syntagme de l’original, introduit son équi-valent par « je veux dire » et explique en note.


Les exemples à date ancienne chez les auteurs de langue française sont rares :

« La forme de souvenirs m’a paru commode pour exprimer certaines nuances de pensée que mes autres écrits ne rendaient pas. Je ne me suis nullement proposé de fournir des renseignements par avance à ceux qui feront sur moi des notices ou des articles. Ce qui est une qualité dans l’histoire eût été ici un défaut ; tout est vrai dans ce petit volume, mais non de ce genre de vérité qui est requis pour une bio-graphie universelle. Bien des choses ont été mises afin qu’on sourie ; si l’usage l’eût permis, j’aurais dû écrire plus d’une fois à la marge : cum grano salis. »

Ernest Renan, Souvenirs d’enfance et de jeunesse (publiés en 1876-1882), Préface


Le Larousse du XXe Siècle précise : « Locution latine dans laquelle sel a le sens figuré de enjouement, de badinage, et que l’on emploie pour faire entendre que ce qu’on dit ne doit pas être pris au sérieux. »


Kœssler & Derocquigny (dont la 1re édition remonte à 1928) :

Grain of salt (with a —) : The statement is to be accepted with a grain of salt, ou, en lat. « moderne », cum grano salis, cette allégation ne doit être accep-tée, accueillie qu’avec réserve, sous bénéfice d’inventaire, non sans en rabattre, non sans faire la part de l’exagération paradoxale, il faut en prendre et en laisser.





L’explication — assez répandue — par un passage de l’Histoire naturelle de Pline (In sanctuariis Mithridatis, maximi regis, deuicit Cn. Pompeius inuenit in pecu-liari commentario ipsius manu conpositionem antidoti e II nucibus siccis, item ficis totidem et rutæ foliis XX simul tritis, addito salis grano: ei, qui hoc ieiunus sumat, nullum uenenum nociturum illo die. Contra rabiosi quoque canis morsum a ieiuno homine commanducati inlitique præsenti remedio esse dicuntur) n’est pas à prendre au sérieux.

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21 février 2007

Tristram Shandy : Agrippine et la mort de son fils


Laurence Sterne écrit (Tristram Shandy, tome III, volume V, chapitre II) :

When Agrippina was told of her son’s death, Tacitus informs us, that, not being able to moderate the violence of her passions, she abruptly broke off her work—

Traduction de Charles Mauron, Garnier-Flammarion no371, p. 314 + note 285 p. 615 :

« Lorsque Agrippine285 apprit la mort de son fils, ne pouvant modérer, nous ap-prend Tacite, la violence de sa douleur, elle interrompit brusquement son travail. »

285. Voir The Anatomy of Melancholy, II, III, V, qui donne quatre vers de Tacite sur ce sujet.



Tacite, nul ne le contestera, étant plus célèbre pour ses ouvrages en prose que pour ses poèmes, il est légitime que le lecteur donne libre cours à sa curiosité et aille s’informer à la source.


Richard Burton, The Anatomy of Melancholy,
Second Partition, Section Three, Member Five:
Against vain fears, sorrows for death of friends, or otherwise

“[…] as Tacitus of Agrippina, not able to moderate her passions. So when she heard her son was slain, she abruptly broke off her work, changed counten-ance and colour, tore her hair, and fell a-roaring downright.

—subitus miseræ color ossa reliquit,
Excussi manibus radii, reuolutaque pensa:
Euolat infelix et fœmineo ululatu
Scissa comam—

“The colour suddenly fled her cheek, the distaff forsook her hand, the reel revolved, and with dishevelled locks she broke away, wailing as a woman.”


La femme qualifiée à deux reprises de « malheureuse » (misera, infelix) est la mère d’Eury-ale et la scène se passe au chant IX de l’Énéide (v. 475-478).

Cette citation — telle qu’elle apparaît chez Burton — contient une curiosité : alors que le texte de Virgile, réutilisant une formule déjà présente au chant III (v. 308 deriguit visu in medio, calor ossa reliquit ; voir les Essais, I, II), porte calor « chaleur » (soudain, la chaleur abandonna les os de la malheureuse), le mot devient color « couleur » (‘The colour sud-denly fled her cheek’) : il a pu y avoir contamination d’un passage d’Horace (Épodes, XVII: Ad Canidiam ueneficam, v. 21-22), fugit iuuentas et uerecundus color / reliquit ossa pelle amicta lurida « ma jeunesse a fui, et les belles couleurs se sont effacées de la peau livide de mes os desséchés » (Leconte de Lisle).

Un détail m’intrigue : les éditions de The Anatomy of Melancholy ont beau renvoyer au livre III des Annales de Tacite, je me demande où et en quels termes le mémorialiste décrit la réaction d’Agrippine « apprenant la mort de son fils ».

Quelqu’un a-t-il une opinion ?

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19 février 2007

Cornelius Gallus (II) : Tristram Shandy


À la suite de Pline et d’autres compilateurs, Montaigne mentionne donc (I, XIX/XX : Que philosopher, c’est apprendre à mourir), parmi d’autres, la mort du préteur Cornelius Gallus en plein coït.

(Pour la petite histoire, dans la version des Essais prétendument complète disponible sur Internet grâce au Project Gutenberg et à laquelle il manque le chap. XII du second livre : l’Apologie de Raimond Sebond, qui — pour donner un ordre de grandeur — va de la page 415 à la page 589 dans la Pléiade, Cornelius Gallus n’est plus ‘praetor’ mais ‘proctor’ : « appa-riteur », qui, aux Etats-Unis, veille à la régularité du déroulement des épreuves d’examen dans les Universités ; ‘proctor’ est une forme syncopée, remontant au moyen-anglais, de procurator.)



Laurence Sterne, à son tour, emprunte aux Essais, et voici le parti qu’il en tire :



Tristram Shandy, tome III, volume V, chapitre 4 :


“—And lastly—for all the choice anecdotes which history can produce of this matter, continued my father,—this, like the gilded dome which covers in the fabric—crowns all.—


’Tis of Cornelius Gallus, the praetor—which, I dare say, brother Toby, you have read.—I dare say I have not, replied my uncle.—He died, said my father<,> as *************** —And if it was with his wife, said my uncle Toby—there could be no hurt in it.— That’s more than I know—replied my father.”


« Et, pour finir, l’Histoire aura beau abonder en anecdotes exemplaires sur ce sujet, poursuivit mon père, voici celle qui, telle le dôme doré qui surmonte l’édifice, en est le couronnement.

Elle se rapporte à Cornelius Gallus, le préteur, et j’imagine, frère Tobie, que tu l’as lue. — Je crois bien que non, répondit mon oncle. — Il mourut, dit mon père, à l’instant où *************** — Puisque c’était avec sa femme, dit mon oncle Tobie, où était le mal ? — C’est trop me demander, répondit mon père. » [“And if ” = “ if ”]




Tristram Shandy, tome III, volume V, chapitre 12 :




“—But to return to my mother.



My uncle Toby’s opinion, Madam, ‘that there could be no harm in Cornelius Gallus, the Roman praetor’s lying with his wife;’—or rather the last word of that opinion,—(for it was all my mother heard of it) caught hold of her by the weak part of the whole sex:—You shall not mistake me,—I mean her curiosity,—she instantly concluded herself the subject of the conversation, and with that prepossession upon her fancy, you will readily conceive every word my father said, was accommodated either to herself, or her family concerns.



—Pray, Madam, in what street does the lady live, who would not have done the same?



From the strange mode of Cornelius’s death, my father had made a transition to that of Socrates
[…].”



« — Mais revenons-en à ma mère.

L’opinion de mon oncle Tobie, Madame, à savoir qu’il n’y avait pas de mal à ce que Cornelius Gallus, le préteur romain, ait couché avec sa femme, ou plus précisément le dernier mot de cette opinion, car c’est tout ce que ma mère put en saisir, la prit par le point faible commun à toutes les femmes : N’allez pas vous méprendre, je veux dire sa curiosité — elle en conclut sur-le-champ qu’elle-même était le sujet de la conversation et, une fois qu’elle eut l’esprit obnubilé par cette idée, vous concevrez sans peine que chaque mot dit par mon père était par elle appliqué soit à sa personne soit aux affaires de sa famille.

— Aurez-vous la bonté de me dire, Madame, dans quelle rue demeure la dame qui n’en aurait pas fait autant ?

De la mort singulière de Cornelius, mon père était passé à celle de Socrate […]. »




Il y a, me semble-t-il, une modulation (que je n’ai pas réussi à bien rendre) entre ‘there could be no hurt in it’ : « cela ne pouvait pas faire mal, être douloureux » et ‘there could be no harm’ : « il n’y avait rien de répréhensible, de condamnable ».

Léon de Wailly (1882), dans le premier passage, rend “He died, said my father<,> as …” par
« Il mourut, dit mon père, en … », ce qui est bien dans l’esprit du texte et il a eu raison d’adopter cette solution.



Comme le notent Melvyn et Joan New, Sterne s’est inspiré de l’anecdote pour les circon-stances dans lesquelles meurt l’épouse de Le Fever (Tristram Shandy, tome III, volume VI, chapitre 7) :


I was the ensign at Breda, whose wife was most unfortunately killed with a musket-shot, as she lay in my arms in my tent. […]

I remember, said my uncle Toby, sighing again, the story of the ensign and his wife, with a circumstance his modesty omitted.”


Charles Mauron (p. 381) et Guy Jouvet (p. 594) rendent ‘modesty’ par « modestie », supposant donc que le lecteur a présente à l’esprit une des valeurs du terme en français classique : « pudeur, décence ».










En 2004, sur une liste de discussion (mailing list), à propos de cette phrase tirée du Dictionary of Phrase and Fable, d’E. Cobham Brewer :

Gallus (Cornelius), the praetor, and Titus Haterius, a knight, each died while kissing the hand of his wife”,

un érudit fit remarquer que le texte non-édulcoré de Valère-Maxime (IX, XII, 8) pré-sentait les intéressés sous un jour moins favorable :

« Cornelius enim Gallus prætorius et T. Etereius, eques Romanus, inter usum puerilis ueneris absumpti sunt. »

Leurs partenaires étaient donc masculins et très jeunes (puer précède adulescens) ; quant à leur (absence de) consentement, il n’en était pas question, car souvent, lit-on chez Ernout-Meillet, comme le gr. παῖς, puer a le sens de « jeune esclave » : c’est, bien enten-du, le cas ici.

Montaigne et, à sa suite, Sterne n’en ont rien su : ils s’en sont tenus à la version des faits présentée par Ravisius Textor, relayant Pline.




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14 février 2007

Wikipédia:
Couvrez ce *** que je ne saurais ***, comme disait T***

« Le latin, dans les mots, brave l’honnêteté » ?

Cherchant à m’informer sur le R. P. Tomás Sánchez [1550-1610], qu’en France on associe surtout au probabilisme, à Luis de Molina et à Antonio Escobar y Mendoza (voir les Pro-vinciales), alors qu’en Espagne il doit sa célébrité posthume à son traité Disputationes de sancto matrimonii sacramento, je découvre deux mentions du casuiste sur le site de Wiki-pédia : dans les articles « fellation » :
À en croire Voltaire (dans la Relation de la maladie, de la confession, de la mort et de l’ap-parition du jésuite Berthier), le célèbre jésuite Sánchez se serait demandé : « Semen ubi femina effudit, an teneatur alter effundere, sive inter uxores, sive inter fornicantes ? », ques-tion que Roger Peyrefitte traduisait par : « Si l’on peut commencer dans les vases illégi-times » ; à quoi l’illustre théologien aurait répondu : « Utrum liceat intra vas praeposte-rum, aut in os feminae, membrum intromittere, animo consummandi intra vas legitimum », c’est-à-dire qu’il autorisait ces préludes « à condition de finir dans le vase légitime ».


et « orgasme » :

À en croire Voltaire, dans L’Homme aux quarante Écus, le célèbre jésuite Sánchez croyait comme article de foi « que les deux véhicules fluides de l’homme et de la femme s’élancent et s’unissent ensemble, et que dans le moment l’enfant est conçu par cette union », partageant en cela l’opinion d’Hippocrate. Et il en était si persuadé qu’il se posait une question théologique qu’on n’oserait citer, même en latin.

{ c’est moi qui souligne }



Après des « polissonneries » en latin (et Les Clés de saint Pierre [1955] comme caution ?), qu’on aurait pu croire anachroniques au XXIe siècle, une protestation vertueuse : à l’indi-cible nul n’est tenu (on notera, au passage, le « même en latin »). Il suffit, pour être fixé, de se reporter au texte original :


VII. — Mariage de l’homme aux quarante écus.


[...] L’homme aux quarante écus, qui était déjà l’homme aux deux cents pour le moins, demanda en quel endroit était son enfant. « Dans une petite poche, lui dit son ami [le géomètre], entre la vessie et l’intestin rectum. — O Dieu paternel! s’écria-t-il, l’âme immortelle de mon fils née et logée entre l’urine et quelque chose de pis! — Oui, mon cher voisin, l’âme d’un cardinal n’a point eu d’autre berceau; et avec cela on fait le fier, on se donne des airs. — Ah! monsieur le savant, ne pourriez-vous point me dire comment les enfants se font? — Non, mon ami; mais, si vous voulez, je vous dirai ce que les philosophes ont imaginé, c’est-à-dire comment les enfants ne se font point.
« Premièrement le R. P. Sanchez, dans son excellent livre de Matrimonio, est entièrement de l’avis d’Hippocrate; il croit comme un article de foi que les deux véhicules fluides de l’homme et de la femme s’élancent et s’unissent ensemble, et que dans le moment l’enfant est conçu par cette union; et il est si persuadé de ce système physique devenu théologique, qu’il examine, chapitre XXI du livre second, Utrum virgo Maria semen emiserit in copulatione cum Spiritu Sancto.Eh! monsieur, je vous ai déjà dit que je n’entends pas le latin; expliquez-moi en français l’oracle du P. Sanchez. » Le géomètre lui traduisit le texte, et tous deux frémirent d’horreur.


À titre d’information : la même question de Sánchez est mentionnée à l’entrée « Impuis-sance » du Dictionnaire philosophique ; comme on voit, le casuiste s’emploie à décider « si la Vierge Marie a eu une éjaculation pendant son accouplement avec le Saint-Esprit ». L’ironie de la formule « et tous deux frémirent d’horreur » est patente ; je voudrais croire que celle du rédacteur pluriel de Wikipédia m’a échappé.

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12 février 2007

Christopher Marlowe, Ésope, Alfred Hitchcock

Après le Prologue, dans la scène d’ouverture de Doctor Faustus, de Marlowe, telle du moins qu’on peut la consulter sur le site de l’éditeur américain www.bartleby.com, tirée des Harvard Classics (1909-1914), apparaît au v. 13 :
“Bid [Greek]5 farewell ; Galen come…”

Serait-ce, sous des oripeaux modernes, la (légendaire?) formule de copistes médiévaux, remplaçant le texte grec qui faisait tache dans leurs manuscrits latins : græcum est, non legitur (c’est du grec, donc indéchiffrable) ?

Quant à la note 5,
This is Mr. Bullen’s emendation of Q1., Oncaymæon, a corruption of the Aristotelian phrase for “being and not being”

elle se révèle utile au lecteur qui dispose d’un texte plus explicite que Greek entre cro-chets droits : Arthur Henry Bullen, éditeur des œuvres complètes de Marlowe en 1884-5, a donc proposé de substituer à la leçon Oncaymæon qu’offrait le 1er Quarto on chai me on [ = ὂν καὶ μὴ ὄν « être et non-être », mais chai est une curiosité : *χαὶ* pour καὶ], dicho-tomie dont Aristote — sans la reprendre à son compte ni la cautionner — attribue la paternité à Leucippe et Démocrite (Métaphysique, Ier Livre, chap. III, 985β), alors qu’elle revient à Parménide (qui emploie la forme ἐόν).
Chez Bartleby, il s’agit d’un bourdon informatique, en quelque sorte (il va de pair avec le très étrange “sweet Mus&aeig;us, when he came to hell” = Musæus/Μουσαῖος, et le malen-contreux curite qui dépare la belle envolée d’Ovide Lente currite, noctis equi !). Mais le pas-sage a joué de malchance : des éditions peu soignées reproduisent encore la leçon dégra-dée d’Oncaymæon des Quartos ultérieurs, abandonnant au lecteur la tâche d’interpréter “Bid Economy farewell ; Galen come…

Dans la même pièce, une autre citation, sertie dans un échange passionnant, a suscité un intérêt toujours vivace (Robert Burton y a recours en deux endroits de son Anatomy of Melancholy et Spinoza la mentionne dans l’Ethique):
Faustus.
Stay Mephastophilus, and tel me, what good wil my soule do thy Lord?
Mephastophilus.
Inlarge his kingdome.
Faustus.
Is that the reason he tempts vs thus?
Mephastophilus.
Solamen miseris socios habuisse doloris.
Faustus.
Haue you any paine that tortures others?
Mephastophilus.
As great as haue the humane soules of men.


(Source : Christopher Marlowe, The Tragicall History of D. Faustus (‘A’ text), ed. Hilary J. Binda http://www.perseus.tufts.edu/)

Cet hexamètre médiéval de bonne facture
( sōlāmēn mĭsĕrīs sŏcĭōs hăbŭīssĕ mălōrum )
et dont la portée donne à réfléchir : « C’est un soulagement/une consolation pour les malheu-reux d’avoir des compagnons d’infortune », les chercheurs et curieux ont voulu en connaî-tre la source, d’autant que les éditeurs, à ce qu’il m’a semblé, n’abordent pas le sujet. La solution la plus convaincante a été fournie par Georg Büchmann († 1884) dans son ouvrage Geflügelte Worte. Der Citatenschatz des deutschen Volkes, toujours réédité, où il opère le rapprochement avec la morale d’une fable d’Ésope :

Λαγωοὶ καὶ βάτραχοι.


Οἱ λαγωοί ποτε συνελθόντες τὸν ἑαυτῶν πρὸς ἀλλήλους ἀπεκλαίοντο βίον ὡς ἐπι-σφαλὴς εἴη καὶ δειλίας πλέως· καὶ γὰρ καὶ ὑπ’ ἀνθρώπων καὶ κυνῶν καὶ ἀετῶν καὶ ἄλλων πολλῶν ἀναλίσκονται· βέλτιον οὖν εἶναι θανεῖν ἅπαξ ἢ διὰ βίου τρέμειν. Τοῦτο τοίνυν κυρώσαντες, ὥρμησαν κατὰ ταὐτὸν εἰς τὴν λίμνην, ὡς εἰς αὐτὴν ἐμπεσούμενοι καὶ ἀποπνιγησόμενοι. Τῶν δὲ καθημένων κύκλῳ τῆς λίμνης βατράχων, ὡς τὸν τοῦ δρόμου κτύπον ᾔσθοντο, εὐθὺς εἰς ταύτην εἰσπηδησάντων, τῶν λαγωῶν τις ἀγχινούσ-τερος εἶναι δοκῶν τῶν ἄλλων ἔφη· « Στῆτε, ἑταῖροι, μηδὲν δεινὸν ὑμᾶς αὐτοὺς δια-πράξησθε· ἤδη γάρ, ὡς ὁρᾶτε, καὶ ἡμῶν ἕτερ’ ἐστὶ ζῷα δειλότερα. » Ὁ μῦθος δηλοῖ ὅτι οἱ δυστυχοῦντες ἐξ ἑτέρων χείρονα πασχόντων παραμυθοῦνται.


LES LIÈVRES ET LES GRENOUILLES



Les lièvres s’étant un jour assemblés se désolaient entre eux d’avoir une vie si précaire et pleine de crainte : n’étaient-ils pas en effet la proie des hommes, des chiens, des aigles et de bien d’autres animaux ? Il valait donc mieux périr une bonne fois que de vivre dans la terreur. Cette résolution prise, ils s’élancent en même temps vers l’étang, pour s’y jeter et s’y noyer. Mais les grenouilles, accroupies autour de l’étang, n’eurent pas plus tôt per-çu le bruit de leur course qu’elles sautèrent dans l’eau. Alors un des lièvres, qui paraissait être plus fin que les autres, dit : « Arrêtez, camarades ; ne vous faites pas de mal ; car, vous venez de le voir, il y a des animaux plus peureux encore que nousCette fable montre que les malheureux se consolent en voyant des gens plus malheureux qu’eux.

[Texte et traduction, tirés de l’édition (1925-6) d’Émile Chambry, sont accessibles sur le site de l’Université catholique de Louvain ; on peut aussi apprécier le texte de Chambry et les traductions anglaises qui l’accompagnent sur le site www.mythfolklore.net, où Laura Gibbs signale, pour le cas qui nous intéresse, une version comparable d’Aphtho-nios, d’après F. Sbordone.]

On voit quel point de départ à son inspiration La Fontaine a pu trouver là pour le Lièvre et les grenouilles (II, 14) ; mais le propos n’est pas du tout le même.



Bref complément



Les textes mis en ligne par le Project Gutenberg (fichiers drfst10 et drfsta10) reproduisent une édition procurée par le Rev. Alexander Dyce (1798-1869), qui en a commis trois : en 1858, 1865, 1876 — cette dernière donc posthume — mais le transcripteur n’indique pas laquelle il a suivie.
Sur le premier point, le texte porte Oeconomy ; la note 10 mentionne la version Oncay-maeon de 1604, sans quelque éclaircissement que ce soit.
Sur le second, voici la note 80 : “An often-cited line of modern Latin poetry: by whom it was written I know not”, ce qui a le mérite de la franchise.

Dans cette édition, Faust concluant ses adieux à la théologie :


What doctrine call you this, Che sera, sera,
What will be, shall be? Divinity, adieu!


D’où la prudente note 19 du Rev. Dyce :

Lest it should be thought that I am wrong in not altering the old spelling here, I may quote from Panizzi’s very critical edition of the Orlando Furioso, “La satisfazion ci sera pronta”, Canto XVIII, stanza 67.


a) la graphie serà est plus claire;
b) serò, serai, serà est, de fait, la série attendue ; la modification de la voyelle radicale dans les plus récents sarò, sarai, sarà est analogique de darò, farò, etc.
c) pour autant que je sache, c’est là l’attestation la plus ancienne de la formule fataliste che sarà, sarà. Les scénaristes l’ont choisie comme devise familiale du comte Vincenzo Torlato-Favrini (interprété par Rossano Brazzi) dans La Comtesse aux pieds nus (The Bare-foot Contessa, 1954), de Joseph L. Mankiewicz, dont Ava Gardner tient le rôle titre. Quand les paroliers Ray Evans et Jay Livingston se virent confier la mission vague d’écrire une chanson pour le personnage joué par Doris Day dans le film d’Alfred Hitchcock L’Homme qui en savait trop (The Man Who Knew Too Much, 1956), ils estimèrent que che sarà, sarà ferait un bon titre ; toutefois, compte tenu de l’importance du public hispanophone aux Etats-Unis, la version espagnole s’imposa : que será, será — en général, sous la forme adap-tée Que Sera, Sera / Whatever Will Be, Will Be (modulation intéressante par rapport à l’origi-nal de Marlowe What will be, shall be).

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07 février 2007

Cornelius Gallus (I) : Montaigne




Montaigne, I, XIX/XX:
Que philosopher, c’est apprendre à mourir






« Qui eut1 iamais pẽſé qu’vn Duc de Bretaigne2 deut3 eſtre eſtouffé de4 la preſſe5, comme fut celuy-là à l’entrée du Pape Clement6, mõ voiſin, à Lyõ7 ? N’as tu8 pas veu tuer vn de nos roys9 en ſe iouant10 : Et vn de ſes anceſtres11 mourut-il pas12 choqué13 par vn pourceau. Æſchilus14, menaſſé de la cheute d’vne maiſon, à15 beau ſe tenir à l’airte16, le voyla aſſommé d’vn toict17 de tortue, qui eſchappa des pates d’vn’18 Aigle en l’air19. L’autre20 mourut d’vn21 grein de raiſin; vn Empereur, de l’eſgrafigneure22 d’vn peigne, en ſe teſtõnant23 : Æmilius Lepidus24, pour auoir hurté25 du pied cõtre le ſeuil de ſon huis26 : et Aufidius27, pour auoir choqué28 en entrant cõtre la porte de la chambre du conſeil; et entre les cuiſſes des femmes, Cornelius Gallus29 preteur, Tigillinus30, Capitaine du guet à Rome, Ludouic31, fils de Guy de Gonſague, Marquis de Mantoüe. Et, d’vn encore pire exemple, Speuſippus32, Philoſophe Platoniciẽ, & l’vn de nos Papes33. »















01 on attendrait euſt et deuſt.
02 Jean II de Bretagne (1239-1305).
03 eu notant [y], cf. veu, cheute, eſgrafigneure.
04 c’est « de » et non « par » qui introduit le complément d’agent, cf. menaſſé de la cheute, aſſommé d’un toict.
05 « foule, cohue », 1er sens du mot, attesté dès la Chanson de Roland.
06 Clément V (Bertrand de Got, v.1264-1314, archevêque de Bordeaux, natif de Villan-draut, non loin de Montaigne).
07 le 14 novembre 1305. “Who would ever have imagined that a Duke of Brittanie ſhould have beene ſtifled to death in a throng of people, as whilome was a neighbour of mine at Lyons, when Pope Clement made his entrance there?” Florio n’a pas bien compris la phrase.
08 début de la prosopopée, quelques lignes plus haut : « D’auantage, pauure fol que tu es, qui t’a eſtably les termes de ta vie? » [d’avantage : « en outre, de surcroît »].
09 Henri II, mort le 10 juillet 1559, des suites d’une blessure accidentelle reçue le 30 juin au cours d’une joute.
10 « N’as-tu pas vu un de nos rois se faire tuer alors qu’il se distrayait ? »
11 Philippe de France (1116-1131), fils aîné de Louis VI le Gros et d’Adèle de Savoie ; alors que le dauphin se déplaçait à cheval, un pourceau errant effraya sa monture qui se cabra et désarçonna le cavalier, qui mourut des suites de sa chute. A la suite de cet inci-dent, seuls les cochons (reconnaissables à la clochette autour de leur cou et à l’entaille de leur oreille) appartenant à l’ordre des hospitaliers de saint Antoine furent autorisés à vaguer dans les rues de Paris.
12 situation paradoxale : la négation proprement dite placée en tête de la proposition interrogative est effacée, alors que son renforcement (pas) est maintenu.
13 « heurté, bousculé, renversé ».
14 on attendrait Æſchylus (Αἴσχυλος). En I, XXVIII (1595), De l’Amitié :
« le poëte Aiſchylus ».
15 on attendrait a.
16 italien all’erta « sur ses gardes, sur le qui-vive » (1ère attestation en français chez Rabelais, dans le Quart Livre).
17 « carapace ».
18 le genre grammatical du mot « aigle » a été longtemps hésitant ; le latin ăquĭla est féminin, l’italien aquila et l’espagnol águila aussi.
19 légende rapportée par Valère-Maxime, IX, XII.
20 Anacréon (Pline, VII, 44 : acino uuæ passæ, d’un grain — ou d’un pépin — de raisin sec).
21 « mourut à cause d’un grain de raisin, étouffé par un grain de raisin ».




22 le verbe de base est « graf(f)igner », attesté depuis le XIIIe s., signifiant « érafler, égratigner, griffer » et toujours vivant au Québec. « Ilz [les chiens de son père] luy graphi-noient le nez » Gargantua, XI (Huchon, p. 35) ; « excepté Euſthenes lequel un des Geans avoit egraphiné quelque peu au viſage ainſi qu’il l’eſgorgetoit » Pantagruel, XXX (Huchon, p. 321).
« Touſiours le chardon et l’ortie, Puiſſe eſgrafigner ſon tombeau », « Ie veux que ma poitrine, Se laiſſe eſgrafiner à toute dure eſpine » Ronsard. — eſgratigneure(s) : II, XXVII, Coüardiſe mere de cruauté ; III, VIII, De l’Art de conferer.
23 « en se coiffant » ; trois autres occurrences dans les Essais. Marot, Rondeau des bar-biers : « De teſtonner on n’en parlera plus » (Defaux, II, p. 764) ; verbe usuel chez Rabelais, qui connaît même « les parfumeurs et teſtonneurs ».
24 Q. Æmilius Lepidus, consul en 21 av. J.-C. (Pline, VII, 181).
25 telle est la graphie primitive du verbe en français, préservée par l’anglais to hurt.
26 « porte », cf. huis-clos, huisserie, huissier [d’où l’anglais usher] ; latin ūstium (VIe s.), du classique ōstium, dérivé d’ōs « bouche », cf. ōrificium.
27 C. Aufustius (Pline, VII, 181).
28 « pour s’être cogné ».
29 Pline, VII, 184.
30 C. Ofonius Tigellinus, préfet des vigiles (præfectus uigilum [Vrbi], commandant des veilleurs ou de la garde urbaine [de Rome] ; les sapeurs-pompiers italiens s’appellent encore vigili del fuoco), puis préfet du prétoire (præfectus prætorio) de Néron. Le même personnage est à nouveau mentionné (toujours sous la forme Tigillinus) en III, IX. — Dion Cassius : ὁ Τιγελλῖνος ὁ Ὀφώνιος ; Plutarque : ὁ Τιγελλῖνος. — Récit de sa mort : Tacite, Histoires, I, LXXII.
31 Ludovico II Gonzaga (1334-1382), Capitano del Popolo e Signore di Mantova, fils de Guido Ier.
32 Σπεύσιππος, neveu de Platon.
33 Jean XII (Ottaviano, v.937-964).

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05 février 2007

Cotgrave : barbe de fouarre

Eclaircissements préliminaires
«… Fouarre (qui vient du mot latin fenum, le foin) » :
La Tribune de Bruxelles, no178 (15-21 juin 2006), p. 12, signé J.K.

Soit les termes anglais : to feed « nourrir », food « nourriture ; aliment », fodder « fourrage » ; à partir de ce dernier et de correspondants tels que l’allemand Futter et le néerlandais voer, on postule un westique *fōðar, ancêtre de l’ancien-français fuerre, feurre, fo(u)arre « paille, chaume, foin », ainsi que de l’italien fodero, de l’espagnol et du portugais forro.
Exemples : Villon laisse « troys gluyons de feurre » au Bastard de la Barre (rime feurre : Barre) ;
Clément Janequin, Les Cris de Paris (Voulez ouÿr les cris de Paris ?), 1530 « à Paris, sur Petit-Pont, geline de feurre » (il s’agit d’une poule paillère, élevée en plein air) ;
Charles d’Orléans, Ballade CIII, « Mis pour meurir ou fuerre de prison » (mis pour mûrir sur la paille de prison).
Au Quartier latin, la rue des Escholiers (c’est-à-dire des étudiants) dut à la fréquentation des Artiens, qui suivaient les cours magistraux assis sur de la paille achetée sur place, d’être rebaptisée rue au Fouarre (Vicus Stramineus, cf. estraim, estrain). Confirmation indirecte : Dante (Paradiso, X, 136-138) évoquant Siger de Brabant :
« essa è la luce eterna di Sigieri,
che, leggendo
nel Vico de li Strami,
silogizzò invidïosi veri. »

Rabelais, Pantagruel, X « Et premierement en la rue du Feurre tint contre tous les regens, artiens, et orateurs, et les mist tous de cul » et XVII « es escholes du Feurre ».
Toujours à Paris, la fontaine des Innocents s’élevait dans une autre rue au Fouarre, devenue rue aux Fers (entre les rues Saint-Denis et Baltard), avant de disparaître.
V. Hugo : « Ne pourrissez pas comme un âne illettré, quasi asinus illitteratus, sur le feurre de l’école. » Notre-Dame de Paris, livre X, chap. II.
Voir place au Feurre, à Amiens et quai du Port-au-Fouarre, à Saint-Maur-des-Fossés.

Les dictionnaires de français comportent deux vedettes « foire » :
foire (du bas latin fēria) « sorte de grand marché »
et foire (lat. fŏria) « flux de ventre, colique, diarrhée ».
Voici les entrées correspondantes chez Randle Cotgrave, A Dictionarie of the French and English Tongues (1611) [j’ai substitué s à toutes les occurrences de s long ſ (U+017F)] :

Foire : f. A Faire ; a Mart ; a generall Market.
Il s’est bien trouvé de la foire. He hath made a good match, or market ; he hath sped very well ; (Applyable unto one that hath gotten a good wife.)
On ne s’en va pas des foires comme du marché ; Looke Marché. [The case is not alike ; for at Faires they pay toll, in Markets none.]

Foire : f. Squirt, thinne dung ; a laske. [= ‘lax, diarrhoea’]
Faire barbe de foire à. To disgrace, violate, wrong extreamely, abuse egregiously.
À saincte Foire chandelle de merde : Prov. A gift agreeable to her nature, or humor ; fit (and filthie) Lettuce for her (stinking) lips.

Hapax sous cette forme, la locution scatologique « faire barbe de foire à (quelqu’un) » procède d’une curieuse méprise.
En effet, Cotgrave enregistre par ailleurs et commente les versions usuelles et traditionnelles :

Faire barbe de foarre à. To deceive, delude, abuse ; deprive of his due ; (especially in matters of religion wherein this phrase is most, and best, used ; but then in stead of Barbe there must be Gerbe ; Looke Gerbe.)

Faire gerbe de foarre à Dieu. To mocke, scorne, abuse, delude, defraud God of his right ; or (in matters of Religion, and conscience, where bountie is required) to play the micher ; In the Jewes law it was held a great impietie in any man to give the Levites chaffe, or straw, in stead of corne ; thence came this Proverbe, wherein many, abusively, use Barbe, in stead of Gerbe.


(‘to play the micher’ : « faire l’école buissonnière (pour cueillir des mûres) »; cf. Henry IV, Ire partie, acte II, scène 4, ce que Falstaff dit au Prince Henry “Shall the blessed son of heaven prove a micher and eat black-berries?”)

On rapprochera :
Gargantua « faisoyt gerbe de feurre au dieux » (ch. XI, texte de l’édition E = François Juste, Lyon, 1542) ;
Montaigne, II, XII (couche A = 1580) « Il ne faut point faire barbe de foarre à Dieu, (comme on dict) » ;
Pieter Brueghel de Oude, Nederlandse Spreekwoorden (Proverbes flamands), 1559 : Gode enen vlassenen baert maken (moderne: Voor God een baard van vlas maken), où l’on voit un moine affubler un Dieu trônant en majesté d’une barbe de filasse ou étoupe de lin (vlas = anglais flax, allemand Flachs), symbole d’hypocrisie (on trouve encore « hij zou Ons-Heer ’nen vlassen baard aandoen » chez Reimond Stijns, Hard Labeur, 1904) ;
Unde hadde alsus enen vlassen bârt“ dans Reineke Vos (1498), Renard le Goupil dans sa version allemande ;
Thomas Murner, Narrenbeschwörung, 1512 ;
Luther („das heyst denn gott ynn das maul greyffen und yhm eynen stroern bart flechten und gleych fur eynen gauch odder hueltzern putzen achten, den wyr wandeln mochten, wie wyr wolten“), etc.
Cotgrave a compris « barbe de foire » au lieu de « barbe de fouarre » (alors qu’à l’époque on distinguait encore [fwęʁ] et [fwaʁ]), n’a pas été surpris par une barbe breneuse et a rédigé sa définition en conséquent.
Henry Appia racontait avoir trouvé, dans un roman policier traduit de l’anglais, une note infrapaginale précisant que « le marbre d’Elgin » [Elgin Marbles], d’une qualité comparable à celle du marbre de Carrare, était extrait de carrières situées dans telle région de Grèce ; le bon maître concluait en se demandant pourquoi le traducteur s’était évertué à attirer l’attention sur sa bévue, alors qu’il lui suffisait d’imiter de Conrart le silence prudent. C’est le même malin génie qui a dû faire trébucher Cotgrave (et J.K. de La Tribune de Bruxelles).

Remarques —
A côté de fuerre « paille, chaume, foin », l’ancien-français connaissait un homophone fuerre « gaine, étui » (également d’origine germanique). L’un et l’autre ont été remplacés par des dérivés, respectivement fourrage et fourrel (Chanson de Roland, laisse XXXIV, v. 444), devenu fourreau.
L’italien a connu une locution proverbiale fare la barba di stoppa « faire la barbe d’étoupe (à quelqu’un) », que le Vocabolario degli Accademici della Crusca glose « far qualche male ad alcuno, che non ne tema, o non se lo pensi » (nuire à qqn qui ne vous craint pas ou ne s’y attend pas) et qu’on trouve chez Pulci (Morgante), Giovanni Della Casa (Terze Rime) et Tassoni (La Secchia rapita). On a voulu y voir une allusion à une anecdote citée par Cicéron (et, à sa suite, par Valère-Maxime), qui rapporte que le tyran Denys de Syracuse fit enlever la barbe d’or d’Asclépios/Esculape à Epidaure, alléguant qu’il n’était pas convenable que le fils portât la barbe alors que dans tous ses temples son père [Apollon] était glabre « Æsculapi Epidauri barbam auream demi iussit ; neque enim conuenire barbatum esse filium, cum in omnibus fanis pater imberbis esset ». Mais il n’est pas question d’y substituer une barbe de paille ou d’étoupe.

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01 février 2007

Aristippe de Cyrène : variations sur un thème

Diogène Laërce, II, 81 : Aristippe

Ἑταίρας εἰπούσης πρὸς αὐτόν, « Ἐκ σοῦ κυῶ, » « Οὐ μᾶλλον, » ἔφη, « γινώσκεις ἢ εἰ δι’ ὁλοσχοίνων ἰοῦσα ἔφασκες ὑπὸ τοῦδε κεκεντῆσθαι. »

« Une femme de mauvaise vie l’accusait d’être enceinte de lui : Vous n’en êtes pas plus sûre, dit-il, que si, après avoir marché au travers d’un buisson, vous m’assuriez que telle épine vous a piquée. »
traducteur non identifié, Paris, Lefèvre, 1840
[http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/laerce/aristippegrec.htm]

Une courtisane lui dit qu’elle était grosse de lui. « Comment peux-tu le savoir ? dit-il. Si tu avais marché sur un cent d’épingles, pourrais-tu me dire laquelle t’a piquée ? »
Traduction Robert Genaille, 1933
[http://ugo.bratelli.free.fr/Laerce/SocrateDisciples/Aristippe.htm]

When his mistress said to him, “I am in the family way by you,” he said, “You can no more tell that, than you could tell, after you had gone through a thicket, which thorn had scratched you.”
Translated by C. D. Yonge (London: George Bell & Sons, 1895)
[http://www.classicpersuasion.org/pw/diogenes/dlaristippus.htm]

Marie-Odile Goulet-Cazé, Pochothèque (1999), p. 284 :

Comme une courtisane lui disait : « Je suis enceinte de toi », il dit : « Tu n’en es pas plus sûre que si, marchant à travers des joncs, tu affirmais avoir été piquée par tel jonc précis ».

ὁλόσχοινος « sorte de jonc dont la tige est pleine et compacte »


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